Aller au contenu

Page:Revue Musicale de Lyon 1904-03-09.pdf/2

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
242
revue musicale de lyon

Un martelage régulier en résulte qui est, sans que l’auditeur s’en rende compte, un facteur efficace de l’effet infaillible et extraordinairement puissant produit par ce presto.

Ce rythme se présente sous deux aspects : sous sa forme la plus simple il est constitué par quatre noires à la mesure, comme, par exemple dans l’accompagnement de la troisième phrase débordante d’ardeur, de fougue et d’emportement. Sous son deuxième aspect, ce rythme tout aussi évident pourrait échapper à un examen superficiel. Chaque coup de ce martelage obsédant est, dans certaines mesures composées de huit croches, frappé par la première croche de chaque temps toujours situé plus bas que la seconde.

Tout un épisode commence peu après la première phrase. Il consiste en répliques alternantes des deux instruments, formées par une succession de groupes de quatre croches, dans lesquels la première croche de chaque temps marque ce rythme, une mesure sur deux, avec une précision rigoureuse. Dans la mesure intercalaire le coup frappé sur le second temps fait défaut.

Il se rencontre d’autres groupes de croches, mais en plus petit nombre dans lesquels ce rythme ne peut être vérifié en aucune façon.

Tout ce presto a une allure endiablée.

La deuxième phrase est à peu près la seule halte dans cette course effrénée : Elle revient deux fois : la première fois en mi majeur, la deuxième fois en la majeur. Autant le reste du presto est mouvementé, autant cette phrase est placide et calme. Le violon chante le premier cette reposante mélodie, soutenue par une harmonie d’une belle et sobre simplicité. Elle ne se termine pas par l’une des notes de l’accord parfait majeur de la tonique. Elle s’achève sur la seconde répétée cinq fois par le violon, tandis que passent au piano des accords aussi riches que variés. Le piano répète en mineur ce même chant et le prolonge par deux mesures adagio et un point d’orgue.

Après cette pause bienfaisante, les deux instruments repartent d’un train d’enfer.

Vers la fin du presto huit mesures adagio remplies chacune par un seul accord tenu, permettent de reprendre un peu haleine, après quoi l’allure reprend plus rapide pendant les dix-sept dernières mesures.

Dans son captivant roman intitulé : « la Sonate à Kreutzer », Tolstoï place dans la bouche de son principal personnage une curieuse appréciation de ce presto « Connaissez-vous, dit-il, ce presto : — Le connaissez-vous ? Oh ! Oh !… Elle est épouvantable cette musique et ce presto en est la partie la plus terrible. » La tirade est trop longue pour être reproduite. Le héros de Tolstoï déclare : « Cette musique a agi sur moi d’une façon incroyable ; il me semblait être en proie à des sentiments nouveaux, posséder une puissance que je m’ignorais ». Ailleurs il lui adresse le reproche suivant : « Cette musique provoque une excitation sans résultat. Une marche fait marcher, une danse fait danser, la musique sacrée nous conduit à l’autel, tout cela a un résultat… Ici, excitation, excitation pure sans but. » Il conclut : « C’est de là que viennent les dangers de la musique et ses conséquences parfois épouvantables. »

Ce jugement porté par le héros de Tolstoï sur le presto de la sonate à Kreutzer contient une très réelle part de vérité. Il est parfaitement erroné sur le point essentiel. Il se termine par un abominable blasphème.

Ce presto par les chocs réguliers qui caractérisent son rythme dominant, par ses développements impétueux et bouillonnants, par sa troisième phrase à la fois