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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/733

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LA SÉPARATION DES POUVOIRS

qui en serait investi ; la séparation paraissait la digue la plus sûre contre l’empiétement. En fait les gouvernements absolus étaient encore si maladroits dans le maniement de leur force matérielle, si novices dans l’art des coups d’État que la barrière purement imaginaire d’une doctrine suffisait parfois à les arrêter.

Mais cette inexpérience des gouvernements dura peu, et la séparation des pouvoirs se montra bientôt impuissante à endiguer les excès du pouvoir souverain. L’histoire du xixe siècle est pleine d’exemples de cette impuissance. Les premiers ministres espagnols, qu’ils fussent des généraux comme Narvaez, Espartero, O’Donnel ou de simples civils comme Gonzalès Bravo et Canovas del Castillo, les dictateurs hispano-américains, Flores et Garcia Moreno dans l’Équateur, Paez, les Monagas, Guzman Blanco en Vénézuéla, Santa-Anna et Juarez au Mexique, Rivas en Uruguay, Barrios en Guatemala, Nuñez en Colombie, ont pu gouverner en despotes, tout en laissant intact le pouvoir législatif établi suivant les règles de la doctrine. Dans des pays moins troublés les ministres du Portugal et du Brésil, de la Prusse, de la Roumanie et du Danemark, ont pu, sans sortir presque des limites de leurs constitutions, exercer un pouvoir quasi absolu et réduire le Législatif au rôle d’un bureau d’enregistrement. Même les monarchies correctement constitutionnelles, l’Autriche, la Suède, l’Italie, la Grèce, l’Angleterre sous Georges III, la France sous Louis XVIII et sous Louis-Philippe, en respectant les formes du régime représentatif, ont fait passer au prince et à son entourage tous les pouvoirs pratiques de la souveraineté. La nation n’a été vraiment souveraine que dans les deux républiques fédérales des États-Unis et de Suisse, en Belgique, en Angleterre sous le règne de Victoria, en France depuis 1871.

Ce pouvoir législatif a pu être délégué à une assemblée unique ou partagé entre deux ou même entre trois, comme sous Napoléon Ier, le véritable et l’unique pouvoir, dès qu’il l’a voulu, a été le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le chef de l’armée et des fonctionnaires, celui qui dispose des fusils et des prisons. Cette vérité de sens commun confirmée par l’histoire, Destutt de Tracy l’avait déjà formulée dans son commentaire de Montesquieu. « Il n’y a en droit qu’une