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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/11

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la revue de paris

Sur la terre brune, voici quelques formes épandues ; elles se meuvent, elles s’arrêtent, elles palpitent au ras du sol. Elles sont de plusieurs espèces, différentes par le contour, par le mouvement, surtout par la disposition, le dessin et les nuances des traits qui les traversent. Ces traits constituent, en somme, le principal de leur être, et, tout enfant, je m’en aperçois très bien. Tandis que la masse de leur forme est terne, grisâtre, les lignes sont presque toujours étincelantes. Elles constituent des réseaux très compliqués, elles émanent de centres, elles en irradient, jusqu’à ce qu’elles se perdent, s’imprécisent. Leurs nuances sont innombrables, leurs courbes infinies. Ces nuances varient pour une même ligne, comme aussi, mais moins, la forme.

Dans l’ensemble, l’être est figuré par un contour assez irrégulier, mais très distinct, par des centres d’irradiation, par des lignes multicolores qui s’entrecroisent abondamment. Quand il se meut, les lignes trépident, oscillent, les centres se contractent et se dilatent, tandis que le contour varie peu.

Tout cela, je le vois très bien, dès lors, quoique je sois incapable de le définir ; un charme adorable me pénètre à contempler les Moedigen[1]. L’un d’eux, colosse long de dix mètres et presque aussi large, passe lentement à travers la cour, et disparaît. Celui-ci, avec quelques bandes larges comme des câbles, des centres grands comme des ailes d’aigles, m’intéresse à l’extrême et m’effraye un peu. J’hésite un instant à le suivre, mais d’autres attirent mon attention. Ils sont de toutes tailles : quelques-uns ne dépassent pas la longueur de nos plus menus insectes, tandis que j’en ai vu atteindre plus de trente mètres de longueur. Ils avancent sur le sol même, comme attachés aux surfaces solides. Lorsqu’un obstacle matériel — un mur, une maison — se présente, ils le franchissent en se moulant sur sa surface, toujours sans modification importante de leur contour. Mais lorsque l’obstacle est de matière vivante ou ayant vécu, ils passent directement : c’est ainsi que je les ai vus mille fois surgir d’un arbre

  1. C’est le nom que je leur donnai spontanément pendant mon enfance, et que je leur ai gardé, quoiqu’il ne corresponde à aucune qualité ni forme de ces êtres.