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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/21

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la revue de paris

Je me trouvai assis parmi des monstres conservés dans l’alcool : fœtus, enfants à forme bestiale, batraciens colosses, sauriens vaguement anthropomorphes.

« C’est bien là, pensai-je, ma salle d’attente… Ne suis je pas candidat à l’un de ces sépulcres à l’eau-de-vie ? »


vii


Lorsque parut le docteur Van den Heuvel, l’émotion m’accabla : j’eus le frisson de la Terre promise, la joie d’y toucher, l’effroi d’en être banni. Le docteur, grand front chauve, regard puissant d’analyste, bouche douce et pourtant opiniâtre, m’examinait en silence, et, comme à tous, ma maigreur excessive, ma haute taille, mes yeux cernés, mon teint violet, lui furent des causes d’étonnement.

— Vous dites que vous voulez être étudié ? demanda-t-il enfin.

Je répondis avec force, violence presque :

— Oui !

Il sourit d’un air approbatif, et me posa la question coutumière :

— Est-ce que vous voyez bien avec ces yeux-là ?

— Très bien… je vois même à travers le bois, les nuages…

Mais j’avais parlé trop vite. Il me jeta un regard inquiet. Je repris, suant à grosses gouttes :

— Je vois même à travers le bois, les nuages…

— En vérité ! Ce serait extraordinaire… Eh bien ! que voyez-vous à travers la porte… là ?

Il me désignait une porte condamnée.

— Une grande bibliothèque vitrée…, une table sculptée…

— En vérité ! répéta-t-il, stupéfait.

Ma poitrine se dilata, une douceur profonde descendit sur mon âme.

Le savant demeura quelques secondes en silence, puis :

— Vous parlez bien péniblement.