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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/32

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un autre monde

autre chercheur, ni brevet à prendre, ni ambition à satisfaire. Nous sommes à une hauteur où la vanité et l’orgueil s’effacent. Comment concilier les joies délicieuses de nos travaux avec le misérable appât de la renommée humaine ? D’ailleurs, le hasard seul de mon organisation n’est-il pas la source de ces choses ? Et dès lors, quelle petitesse de nous en glorifier !

Nous vivons passionnément, toujours au bord de découvertes merveilleuses, et cependant nous vivons dans une sérénité immuable.

Il m’est arrivé une aventure qui ajoute à l’intérêt profond de ma vie et qui, durant les repos, me comble de joie infinie. Vous savez combien je suis laid, au point de vue humain, plus étrange encore, et propre à épouvanter les jeunes femmes. J’ai pourtant trouvé une compagne qui s’accommode de ma tendresse au point d’en être heureuse.

C’est une pauvre fille hystérique, nerveuse, dont nous fîmes rencontre, un jour, dans un hospice d’Amsterdam. On la dit d’aspect misérable, d’une pâleur de plâtre, les joues creuses, les yeux égarés. Pour moi, sa vue m’est agréable et sa compagnie charmante. Ma présence, loin de l’étonner, comme tous les autres, parut dès l’abord lui plaire et la réconforter. J’en fus touché au point d’aller la revoir avec le docteur : on ne tarda pas à s’apercevoir que j’avais sur sa santé et sur son bien-être une action bienfaisante. À l’examen, il parut que je l’influençais magnétiquement : mon approche, et surtout l’imposition de mes mains, lui communiquaient une gaieté, une sérénité, une égalité d’esprit véritablement curatives. En retour, j’éprouvais de la douceur auprès d’elle. Son visage me paraissait joli ; sa pâleur et sa maigreur n’étaient que de la délicatesse ; ses yeux, capables de voir la lueur des aimants, comme ceux de beaucoup d’hyperesthésiques, n’avaient point pour moi ce caractère d’égarement qu’on leur reprochait.

En un mot, j’éprouvai de l’inclination pour elle, et qu’elle me rendit avec passion. Dès lors, je pris la résolution de l’épouser, et je parvins aisément à mon but, grâce au bon vouloir de mes amis.

Cette union fut heureuse. La santé de ma femme se rétablit, quoiqu’elle demeurât extrêmement sensitive et frêle ; je