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Il n’en est pas ainsi de la langue anglaise. Cet idiome insulaire et peu malléable ne se répand point de lui-même. Il semble avoir rompu tout contact avec les langues de l’Europe, en dénaturant la prononciation des lettres communes aux races du nord et à celles du midi. On l’apprend par nécessité, mais on ne le parle pas pour son plaisir. La langue anglaise ne s’étend qu’avec la famille anglaise ; il faut aussi qu’elle fonde ses colonies. On en dirait autant de la presse : les Anglais ne la conçoivent que sous une seule forme ; le Times est pour eux un type universel. À Dublin comme à Londres, et dans la Nouvelle-Galles comme en Angleterre, ils veulent trouver ces immenses feuilles dont chacune renferme deux cent mille mots, la matière de deux volumes in-8o. Prenez une gazette de Canton, de Sidney, de Calcutta, ou de Liverpool ; les annonces couvrent invariablement la première page, et quelquefois aussi la dernière. Les journaux anglais sont partout des feuilles de commerce écrites pour des marchands, soit qu’ils paraissent à la pointe de la Chine, soit qu’on les publie aux portes de la Cité.

Ce qui classe un journal en France parmi les feuilles politiques, c’est la critique des actes du gouvernement et des partis ; en Angleterre, c’est la publication des nouvelles du jour. Le public n’y cherche pas autre chose : la discussion a sa place marquée ailleurs, dans les chambres, dans les clubs et dans les meetings. De là, cette différence dans le caractère des deux presses ; ce qui est l’accessoire pour nous devient pour les Anglais le principal. L’annonce, la nouvelle, autre sorte d’annonce, fait chez eux le fond des journaux. Il faut qu’ils en donnent sur toutes choses et de tout pays, on exige dans une feuille publique les renseignemens les plus positifs, les plus minutieux, les plus étendus. Un journal anglais doit présenter chaque jour le tableau du monde habité, sans négliger de détailler les plus minces accidens qui surviennent dans la société anglaise. C’est au lecteur de choisir ensuite, comme dans un bazar ou dans un restaurant.

La presse, telle que nous l’avons faite, s’adresse aux sentimens et à la raison ; elle est littéraire, philosophique, politique, sociale ; elle provoque les opinions, elle spécule pour le plaisir de l’esprit : c’est un meuble de luxe dans notre société. La presse, telle que les Anglais la font, va droit aux intérêts, qu’elle sollicite et satisfait tout à la fois ; c’est donc un meuble de première nécessité. Dès