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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

succès. Ils restèrent enfermés dans leur camp du Danube. Une main invisible semblait les enchaîner sur les rives du fleuve, et leur ravir le fruit de leur victoire. Dès-lors, il parut évident qu’ils n’avaient vaincu que pour obtenir une paix immédiate, et que les affaires d’Orient ne tenaient plus qu’une place secondaire dans la politique de leur gouvernement. La Turquie était sauvée ; mais pour elle, ce n’était pas assez. Elle voulait recouvrer la Moldavie et la Valachie, que les Russes occupaient et administraient depuis le commencement de la guerre, et dont ils avaient payé la conquête par cinq années des plus opiniâtres et des plus sanglans efforts. La Porte fut bientôt délivrée de ce dernier danger. Au mois de mars 1811, un ordre de Saint-Pétersbourg vint tout à coup dissoudre l’armée du Danube. De neuf divisions qui élevaient son effectif à près de 80,000 hommes, cinq durent abandonner les provinces grecques et se diriger sur les frontières du duché de Varsovie. Tout le poids de la guerre fut laissé aux quatre autres divisions, qui, fortes à peine de 30,000 hommes, et ne pouvant plus tenir la campagne, furent obligées d’abandonner l’offensive et de se renfermer dans les places du Danube.

La dislocation de l’armée du Danube, après une suite de triomphes qui semblaient lui livrer l’empire ottoman, produisit sur l’esprit de l’empereur Napoléon une impression profonde. Il savait quel prix immense Alexandre attachait à la possession de la Moldavie et de la Valachie, avec quelle ardeur il en poursuivait la réunion depuis cinq années ; le but était maintenant atteint : les deux provinces étaient paisiblement occupées par ses armées, administrées par ses généraux ; aucune force humaine ne semblait désormais capable de les lui arracher. La Turquie n’avait plus d’armée ; ce n’était plus le sort de la Moldavie et de la Valachie qui était en question, mais l’existence même de l’empire ; et voilà que la Russie se dessaisit de sa proie et qu’elle transporte ses forces du Danube sur les frontières du grand-duché. Cette décision parut à Napoléon la preuve, ou que cette puissance nous supposait l’intention de l’attaquer en 1811, ou qu’elle était elle-même décidée à prendre l’offensive et à fondre sur le grand-duché avant qu’un seul de nos bataillons eût passé l’Oder.

Tandis que la cour de Saint-Pétersbourg abandonnait l’Orient, la Prusse prenait une attitude militaire qui semblait trahir un plan secret d’invasion prochaine de l’Allemagne par les armées russes. Disons d’abord quels étaient les rapports de la France avec la cour de Berlin, depuis la paix de Vienne, 1809.

Cette cour s’était trouvé placée, après la dernière guerre d’Autriche, dans une des situations les plus déplorables que puisse connaître un état. Elle savait que Napoléon, à Tilsitt, avait voulu sa destruction complète ; qu’après la paix, il l’avait voulue encore ; que, si elle existait aujourd’hui, elle le devait uniquement à la protection de la Russie. La conduite qu’elle avait tenue pendant la guerre d’Autriche n’avait fait qu’accroître l’inimitié mêlée de mépris dont Napoléon la poursuivait depuis 1806. Les fautes qu’elle avait commises alors étaient de celles que pardonnait le moins le chef de la France.