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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/287

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et de milliers d’années ? Il n’en resterait pas davantage : « des corps morts sur un champ de bataille, » rien de plus ! La servitude des uns, l’empire intraitable des autres, partout une obéissance dégradée, suite d’un commandement tyrannique, ce serait là l’effet nécessaire du simple exercice de la seule raison ! et pour que le Christ fût grand, il ne lui fallait pas moins à guérir qu’une si complète infirmité ! M. Lacordaire n’y pense pas. J’ouvre encore Bourdaloue : « Tout ce qui est grand hors de Dieu ne l’est qu’avec dépendance et par rapport au prochain. De savoir si ce point de morale a été connu dans le paganisme ou si c’est une obligation nouvelle que l’Évangile nous ait imposée, c’est ce que je n’entreprends point d’étudier. Scitis quia principes gentium dominantur eorum : ainsi parlait ce divin maître ; mais saint Jérôme remarque fort bien que le Sauveur du monde, en parlant ainsi, ne nous a point donné par là d’autre loi que celle même qui nous était déjà prescrite par la raison. Non, mes chers auditeurs, il n’est point nécessaire de recourir à l’Évangile pour être convaincu de cette vérité. Le prince des philosophes n’avait aucun principe du christianisme, et il la comprenait néanmoins quand il disait que les rois, dans ce haut degré d’élévation qui nous les fait regarder comme les divinités de la terre, ne sont, après tout, que des hommes faits pour les autres hommes, et que ce n’est pas pour eux-mêmes qu’ils sont rois, mais pour les peuples. » - Voilà l’impartialité des esprits justes et la portée naturelle des idées. Saint Jérôme, Aristote, et plus bas saint Augustin lui-même, « raisonnant, comme dit Bourdaloue, sur les principes généraux de la Providence, » voilà les autorités auxquelles se confiait le grand maître de la chaire catholique pour défendre à l’avance contre M. Lacordaire les mérites de l’intelligence humaine ; mais M. Lacordaire ne lit pas les pères et ne connaît guère d’autre philosophie que la sienne. Bourdaloue, qui était aussi un philosophe, ne se suffisait pas à si bon compte.

2° Voici maintenant le chef-d’œuvre de la démonstration positive entreprise par M. Lacordaire au profit du catholicisme ; entre tous ces caractères exclusifs qu’il s’imagine lui trouver, voici le plus frappant : la doctrine catholique est la seule religion savante. Possesseurs du livre sacré qui contient le dépôt de cette science, les peuples catholiques ne sont devenus maîtres de l’univers que parce qu’ils avaient été gratifiés de ce livre immortel, parce qu’ils étaient les fils de la Bible ; seuls ils ont eu l’amour de la propagande, le génie de l’apostolat, et, comme dit M. Lacordaire, la charité de la doctrine ; seuls ils ont été des ouvriers de morale et de civilisation. Pourquoi ?