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demanderez-vous. Toujours la même réponse. C’est qu’on ne croit pas avoir assez exalté son Dieu si l’on n’a jeté l’homme la face contre terre. On veut l’esprit humain d’essence si débile, qu’il n’ait plus la moindre solidité et ne sache de lui-même s’appliquer à rien. Eût-elle été enregistrée par des mains trompeuses, la tradition surnaturelle est seule capable de vaincre cette impuissance radicale ; si imparfaits qu’ils soient, ce sont les livres sacrés qui constituent les nations ; une nation sans livre miraculeux n’est pas une nation vivante ; les nations catholiques sont les plus vivantes de toutes, parce que leur livre est de tous le plus miraculeusement divin. « Au point de vue de l’expansion, dit M. Lacordaire dans son bizarre langage, toute doctrine humaine n’est qu’un cadavre. » C’est pourtant là qu’on vient tomber à force d’idées creuses et de systèmes fantasques ; ce sont là les preuves de fait que l’on croit avoir élevées au-dessus de toute atteinte, et l’embarras est justement de choisir entre les faits sans nombre qui détruisent ce ruineux échafaudage d’une théologie imprudente.

Oui, certes, il est faux de toute fausseté, absolument faux, que le règne de la pensée n’ait pas commencé dans le monde avant le Christ ; quel que fût le bienfait de la loi nouvelle, il est faux que l’humanité, livrée à elle-même, eût été si complètement déshéritée de toute doctrine et comme abandonnée à l’arbitraire d’une puissance brutale ; il est faux que l’islamisme ait été perpétuellement condamné à cette incurable ignorance qu’on lui prête ; il n’est permis qu’à la déclamation d’oublier que les musulmans ont été la grande race savante du moyen-âge, les restaurateurs de la pensée des extrémités de l’Orient à celles de l’Occident ; et s’ils restent maintenant en arrière sur le chemin de la vie où l’Europe, entraînée jadis par leurs ancêtres, ne s’est plus arrêtée, M. Lacordaire devrait y songer, c’est assurément par cela seul qu’ils ont été plus que tout autre le peuple d’un livre. Or, il lui plaît d’attribuer toute grandeur humaine à l’empire absolu de ces livres mystérieux ; croyez-en sa parole, le panthéisme écrit des védas de l’Inde a fait des hommes bien autrement vaillans que cette vive raison de la sagesse païenne qui n’avait pas de livre plus religieux qu’Homère ; cet exécrable panthéisme qu’on poursuit où il n’est pas, on le ménage et on l’épargne où il est, tant on se trouve heureux de voir ces milliers de têtes qui se courbent aveuglément devant les pages sacrées où des prêtres l’ont écrit ; on s’ingère enfin de rayer du nombre des nations toutes celles qui n’ont pas connu cette muette obéissance, et il est pourtant vrai de dire que celles-là seules n’ont rien fait pour la cause générale de l’humanité qui sont devenues les