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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/937

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Mes vers ! n’imitez pas celui que nous chantons !
Soyez spirituels, et ne soyez pas longs[1].


C’est lui qui disait d’un mariage contracté entre la fille d’une duchesse célèbre par ses intrigues et le fils illégitime d’un lord : « La fille de personne épouse le fils de tout le monde. » Il livra une guerre de bons mots, poussée jusqu’à l’acharnement, à Robert Walpole et à George II. Quand ce dernier, à Dettingen, eut payé de sa personne, les Anglais en furent ravis, et, comme on observait devant Chesterfield que sa majesté s’était fort bien conduite, il reprit : « Oui, mais sa majesté n’a rien conduit. » Les femmes le craignaient autant que les hommes. « Imaginez-vous, lui dit la célèbre miss Chudleigh, ce que l’on a répandu sur mon compte ? On m’attribue deux jumeaux. — Je ne crois jamais que la moitié de ce qu’on dit. »

Les chagrins moraux et les douleurs physiques ne l’empêchèrent pas de finir par des plaisanteries, et de changer son testament en épigramme. Il y multiplie les précautions pour la conservation intacte de son nom ; il veut que l’on respecte ces propriétés qu’il a créées et embellies avec tant de soin et de goût. Il ordonne d’abord « que l’hôtel Chesterfield ne sera jamais vendu, et que, si l’un de ses descendans essaie de s’en défaire, aussitôt, et par le fait même, la propriété en sera dévolue à l’héritier le plus proche. » Après avoir ainsi protégé sa création contre les fantaisies ou la dilapidation de ses successeurs, il déclare en outre que, « si la fantaisie de faire courir des chevaux,,de jouer ou de parier, prend à l’un d’eux, il autorise le doyen et le chapitre de Westminster (qu’il connaissait fort rapaces) à exiger d’assez fortes sommes, à proportion du nombre des récidives, et jusqu’à concurrence possible de la totalité du patrimoine ; — bien certain, ajoute-t-il, que le chapitre se fera payer ! »

A ces codiciles doucement satiriques et qui le peignent si bien, il faut ajouter ces mots charmans du vieillard : « Où allez-vous ? — A la promenade ; il faut bien faire la répétition de son enterrement ! » et ceux-ci : « Tyrawley et moi, nous sommes morts depuis cinq ans, mais nous ne voulons pas qu’on le sache ; » et enfin les dernières paroles qu’il ait prononcées, une politesse pour son vieil ami : « Donnes un fauteuil à Dayrolles. » Et il expira. Entre autres legs et dons faits à l’heure de sa mort à ses intimes et à ses domestiques, il venait d’envoyer « cinq cents livres sterling » à Mlle Du Bouchet, « comme compensation,

  1. ::Unlike my subject now shall by my song,
    It shall be witty, and it shan’t be long.