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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/938

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dit-il, du tort qu’il avait fait à cette personne ; » ce sont les termes du gentilhomme mourant. Mlle Du Bouchet trouva la compensation insultante, et renvoya les cinq cents louis au moribond, ce qui prouve chez elle un sentiment de sa dignité et quelque élévation dame.

Cependant il avait à peine fermé les yeux, que cette même Eugénie Stanhope, dont il avait été le bienfaiteur, trafiquait de ses lettres confidentielles, avait l’impudeur de les publier, et le montrait, aux yeux du monde et de l’avenir, précepteur immoral de son enfant naturel, professeur de dissimulation, précepteur de ruse et de libertinage ; si bien que, par une rétribution dont les moralistes feront, s’ils veulent, leur profit, toutes les vengeances et tous les châtimens lui arrivaient du côté de Philippe Stanhope. Sa femme, qu’il avait tant négligée, personnage intéressant dans la vie de Chesterfield, et celui dont on parle le moins, lady Walsingham, que ses portraits représentent grande, belle, aux beaux cheveux noirs, aux yeux pleins de langueur et de feu, se conduisit bien autrement envers lui. Elle avait été délaissée aussitôt qu’épousée par celui qui n’avait vu dans cette alliance que la fortune. Elle eut l’esprit de comprendre que ce mal était sans remède, le bon goût de se taire, et le cœur assez féminin pour chérir encore et soigner Chesterfield dans sa vieillesse ; elle prit soin elle-même de son enfant naturel, et, devenue veuve, protégeant avec une générosité muette la mémoire de son mari, elle chargea un médecin fort instruit, Maty, ami de la famille, d’écrire la vie du comte et de réunir son léger bagage littéraire. Elle paya fort cher et surveilla ce monument funèbre ; d’ailleurs elle ne prononça pas un mot de blâme, de plainte ou de reproche.

Maty, homme assez sensé, mérite un souvenir ; il ne manquait point de connaissances réelles, et c’est l’homme qui, encouragé par Chesterfield, a le premier jeté un pont de communication entre la France et l’Angleterre. Dans l’histoire des Revues, sa Bibliothèque britannique doit prendre place entre l’admirable Review de Daniel de Foë, le Journal des Savans de Sallo et les Nouvelles de la République des Lettres. Bayle, journaliste merveilleux, avait connu et encouragé Maty, laborieux et modeste pionnier littéraire qui possédait les deux idiomes, chose rare à cette époque. Voici donc comment s’est décidé le mouvement nouveau qui a rapproché les deux races : Bolingbroke, esprit décisif, mauvais écrivain, ardent à toute entreprise nouvelle, donna l’impulsion ; Chesterfield, qui le suivit, répandit le goût français dans les salons britanniques ; Maty, qui vint ensuite, continua et