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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/185

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terrible, il n’est point une personne : il n’a pas de droits. Il peut inspirer une terreur immense : il n’a pas droit au respect. On n’a pas de devoirs envers lui.

« Le devoir et le droit sont frères. Leur mère commune est la liberté. Ils naissent le même jour, ils se développent et ils périssent ensemble. On pourrait même dire que le droit et le devoir ne font qu’un, et sont le même être envisagé de deux côtés différens. Qu’est-ce, en effet, que mon droit à votre respect, sinon le devoir que vous avez de me respecter, parce que je suis un être libre ? Mais vous-même vous êtes un être libre, et le fondement de mon droit et de votre devoir devient pour vous le fondement d’un droit égal et en moi d’un égal devoir.

« Je dis égal de l’égalité la plus rigoureuse, car la liberté, et la liberté seule, est égale à elle-même. Il n’y a d’identique en moi que la personne. Tout le reste est divers ; par tout le reste, les hommes diffèrent ; car la ressemblance est encore de la différence. Comme il n’y a pas deux feuilles qui soient les mêmes, il n’y a pas deux hommes absolument les mêmes par le corps, par la sensibilité, par l’esprit, par le cœur. Mais il n’est pas possible de concevoir de différence entre le libre arbitre d’un homme et le libre arbitre d’un autre. Je suis libre ou je ne le suis pas. Si je le suis, je le suis autant que vous, et vous l’êtes autant que moi. Il n’y a pas là de plus ou de moins. On est une personne morale tout autant et au même titre qu’une autre personne morale. La volonté, qui est le siège de la liberté, est la même dans tous les hommes. Elle peut avoir à son service des instrumens différens, des puissances différentes, et par conséquent inégales, soit matérielles, soit spirituelles ; mais les puissances dont la volonté dispose ne sont pas elle, car elle n’en dispose point d’une manière absolue. Le seul pouvoir libre est celui de la volonté, mais celui-là l’est essentiellement. Si la volonté reconnaît des lois, ces lois ne sont pas des mobiles, des ressorts qui la meuvent : ce sont des lois idéales, celle de la justice, par exemple ; la volonté reconnaît cette loi, et en même temps elle a la conscience de pouvoir s’y conformer ou l’enfreindre, ne faisant l’un qu’avec la conscience de pouvoir faire l’autre, et réciproquement. Là est le type de la liberté, et en même temps de la vraie égalité ; tout autre est un mensonge. Il n’est pas vrai que les hommes aient le droit d’être également riches, beaux, robustes, de jouir également, en un mot d’être également heureux : car ils diffèrent originellement et nécessairement par tous les points de leur nature qui correspondent au plaisir, à la richesse, au bonheur. Dieu nous a faits avec des puissances inégales pour toutes ces choses. Ici l’égalité est contre la nature et contre l’ordre éternel ; car la différence est, tout aussi bien que l’harmonie, la loi de la création. Rêver une telle égalité est une méprise étrange, un égarement déplorable. La fausse égalité est l’idole des esprits et des cœurs mal faits, de l’égoïsme inquiet et ambitieux. C’est l’envie appliquée à l’impossible. La vraie égalité accepte sans honte toutes les inégalités extérieures que Dieu a faites, et qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme non-seulement d’effacer, nais de modifier. La noble liberté