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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/720

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l’intérêt de celui qui possède, et rien ne semblait plus difficile que d’aliéner à leurs maîtres les vassaux de cette autre féodalité.

L’association catholique, qui détermina par son attitude imposante les concessions de 1829, avait trouvé le terrain préparé par trente années de controverse. Ce que le duc de Wellington accorda aux populations à demi soulevées de l’Irlande, Pitt lui-même, dès 1804, l’avait jugé possible, en admettant les partisans avoués de l’émancipation à siéger avec lui dans le conseil. L'union politique de Birmingham, cette conjuration légale de toutes les classes de la société en faveur de la réforme parlementaire, avait été précédée long-temps auparavant par les démonstrations des grands seigneurs whigs obéissant à l’impulsion un peu radicale du duc de Richmond et de lord Grey. Celui-ci n’accomplit qu’à la fin de sa carrière un projet qui en avait signalé les débuts. Encore fallut-il l’élan imprimé aux idées de liberté en Europe, par la commotion de 1830, pour venir à bout des résistances qu’un demi-siècle de propagande avait déjà ébranlées.

La cause de la ligne est la seule qui ait triomphé, sans cesser d’être une question de classe, et sans trouver un appui réel, pas plus dans les rangs élevés de la société que dans les régions inférieures. Elle a vaincu, grace à une organisation savante, par la simplicité des moyens, par le talent et par l’indomptable énergie de ses chefs, par la puissance des intérêts qu’elle représente. Le succès de la ligue a dépassé les espérances de ses partisans et les craintes de ses adversaires. Jamais encore l’avenir ne s’était plus soudainement rapproché du présent. Au printemps de 1839, lorsque les délégués de cette grande confédération, qui sortait à peine de ses langes, vinrent présenter leur pétition à la chambre des communes, on s’étonnait de la naïve confiance avec laquelle ils entreprenaient non pas de modifier ni de corriger, mais de faire abolir sur l’heure et d’une manière absolue les lois sur les céréales ; et, dans ce parti réformiste qui les avait accueillis avec une bienveillance un peu incrédule, les plus politiques leur disaient : « Abolir les lois sur les céréales ! vous auriez aussitôt fait de renverser la monarchie[1]. »

La monarchie reste debout, mais le système protecteur a reçu le coup de grace. Les grands propriétaires et leurs fermiers, qui n’avaient, au dire de sir Robert Peel, réclamé le privilège d’approvisionner le marché intérieur que pour suivre l’exemple des manufacturiers et des marchands, vont être forcément ramenés à cet âge d’or de leur innocence

  1. Discours de M. Cobden à Covent-Garden, 18 décembre 1845.