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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/116

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le dit à sir Robert Adair, à pourvoir, non plus à soin indépendance, mais à son existence, elle rappela son ambassadeur de Londres, et sir Robert Adair dut également quitter Vienne, où il venait de passer dix-huit mois. Telle était la situation de l’Europe, que, pour regagner l’Angleterre, il fut contraint d’aller s’embarquer à Trieste, sans aucune certitude de ne pas tomber entre les mains de l’ennemi. Jamais, d’ailleurs, rupture n’eut lieu avec plus de regrets réciproques, avec le sentiment mutuel d’une plus complète bienveillance ; jamais, en se séparant, on ne fut plus résolu à se réunir de nouveau dès qu’on y verrait le moindre jour.

Je viens de rappeler les grands événemens auxquels sir Robert Adair eut à prendre part pendant la durée de son séjour à Vienne, et dont sa correspondance nous présente le tableau, tel qu’on pouvait l’apercevoir du point où il se trouvait placé. C’est assez dire quel est l’intérêt de cette correspondance. Ceux qui cherchent uniquement dans l’histoire des anecdotes piquantes, des traits personnels, en un mot l’amusement frivole de l’esprit, pourront sans doute ne pas y trouver de quoi se satisfaire. Un homme aussi grave que sir Robert Adair et aussi profondément pénétré du sentiment des convenances a dû, en publiant des dépêches relatives à des faits contemporains, en retrancher tout ce qui eût pu servir d’aliment à la malignité, au risque d’ôter à son livre un puissant intérêt de curiosité et peut-être même, dans certains cas, de laisser dans l’ombre les causes de faits plus ou moins importans. C’est là l’inconvénient de toute publication historique faite à une époque trop rapprochée : il faut opter entre le scandale et les révélations incomplètes. Dans cette alternative ; l’homme qui se respecte n’hésitera jamais. Cependant la correspondance de sir Robert Adair, quelques retranchemens qu’il ait dû lui faire subir, constitue encore une collection de documens bien précieux pour l’historien comme pour l’homme d’état, et les esprits sérieux en trouveront la lecture singulièrement attachante. Ecrite dans le véritable style diplomatique, avec clarté, netteté, précision, sans affectation d’aucune espèce, elle révèle une parfaite connaissance des grands intérêts anglais et européens, un sentiment très juste de la position des divers états, un esprit tout à la fois ferme et conciliant. Dans ces dépêches, où respire le zèle ardent de sir Robert Adair pour la cause de son pays, qu’il pouvait, à cette époque, sans trop d’illusion, considérer comme étroitement liée à celle de l’Europe, rien pourtant n’est empreint de ce sentiment de haine aveugle et mortelle que la plupart des agens anglais portaient alors à la France, et dont on trouve, par exemple, dans les mémoires de lord Malmesbury, la révoltant expression. On sent que l’élève, l’ami de Fox, appartient à une école plus généreuse ; que ce qu’il combat, ce qu’il repousse dans la France, c’est seulement le dangereux excès de sa grandeur ; que la