Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/520

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles IV, et compromis le succès de la négociation du traité de Fontainebleau ; mais, sans s’engager personnellement par aucun écrit ni parole, il admit au nombre des combinaisons qui pouvaient s’offrir un jour une alliance entre une princesse de sa famille et le prince des Asturies.

Ce n’est point à Mlle Tascher qu’il réservait l’honneur d’occuper un jour le trône d’Espagne. Il n’entrait point dans ses calculs d’élever si haut la nièce de l’impératrice. Ses vues se portaient sur une jeune personne qui lui appartenait par des liens de parenté plus directs. Lucien Bonaparte, après sa brouille avec l’empereur, s’était retiré à Rome, où il menait, sous le titre de prince de Canino, une existence heureuse, mais inutile à la France et à son frère. Dans le voyage que ce dernier fit en Italie à la fin de l’année 1807, le roi de Naples, Joseph, tenta de le réconcilier avec Lucien. Une entrevue fut ménagée entre les deux frères, et elle eut lieu le 13 décembre, à neuf heures du soir, dans la ville de Mantoue. L’empereur conjura de nouveau Lucien de ne point séparer sa fortune de la sienne ; il lui offrit, pour lui, le trône de Portugal, et pour sa fille Charlotte la main du prince des Asturies ; mais il insista pour que son frère rompît son mariage avec Mme de Jaubertou, lui offrant d’ailleurs d’assurer à cette dame et à ses enfans une grande existence en Italie. Le langage pressant de l’empereur émut beaucoup Lucien ; on dit qu’il versa des larmes. Il n’en refusa pas moins de se séparer de la femme obscure, mais aimée, à laquelle il avait lié sa destinée. L’empereur n’avait pas encore perdu tout espoir de vaincre son obstination. En le quittant, il lui donna huit jours pour réfléchir et se décider. Le roi de Naples, le prince de Talleyrand, Fouché, épuisèrent tour à tour leur éloquence pour le faire renoncer à sa résolution. Tout fut inutile, et les deux frères se séparèrent pour ne plus se revoir qu’en 1815. Toutefois Lucien ne voulut point enchaîner l’avenir de sa fille : il fut convenu que la jeune personne quitterait ses parens et viendrait attendre aux Tuileries le sort brillant que les événemens et la volonté de l’empereur semblaient lui réserver.

Cependant, le prince des Asturies et le prince de la Paix ne pouvaient plus contenir la haine qui les poussait l’un contre l’autre. Se croyant tous les deux assurés de la protection de l’empereur, ils se persuadèrent qu’ils pouvaient tout entreprendre. Ferdinand se mit en mesure de dessiller les yeux du roi son père sur le compte du favori, et s’entendit avec ses amis afin de déjouer, en cas de mort prochaine de Charles IV, les funestes desseins de sa mère. De son côté, Godoy épia toutes les démarches du jeune prince, impatient de le saisir en délit de conspiration, afin de le transformer en criminel d’état et de le frapper dans ses droits à l’héritage du trône. Il fut secrètement informé, par une dame du palais, que Ferdinand passait une partie de ses nuits à