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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1035

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BELLAH.

Un seul point mis en lumière dans une trame dont [nous avions été la dupe suffit souvent à nous en faire aussitôt saisir tous les fils. Ce fut ainsi que la mémoire de Hervé rassembla instantanément, de manière à en former un corps de délit complet, toutes les circonstances équivoques de sa campagne, la réserve extrême de l’Écossaise, les scènes du château de la Groac’h, le langage et l’insistance étrange de Bellah sur la lande aux Pierres, et enfin le caractère mystérieux de l’individu qui avait suivi Mlle de Kergant dans son excursion nocturne. Ce dernier souvenir pénétra plus profondément que tous les autres dans le cœur ulcéré du jeune homme.

— Mon général, dit-il, j’ai été joué et bafoué indignement. Ma sœur est une enfant qui a cru se prêter à une excellente plaisanterie. Quant aux autres…, le commandant Pelven acheva sa pensée par un signe de tête lent et prolongé qui indiquait un amer ressentiment.

Le général s’était approché d’une fenêtre:il demeura quelques instans les yeux fixes dans le vide et les sourcils contractés, comme en proie à une pénible irrésolution; puis, se retournant soudain:— Je suppose, reprit-il, que je prenne sur moi de vous rendre votre liberté, quel usage en feriez-vous ? car je ne puis songer à vous employer, quant à présent du moins. — Voyons, que feriez-vous ?

— J’irais droit aux chouans, droit au quartier du prince, puisque prince il y a.

— Êtes-vous fou ?

— Je reprendrais mon nom et mon titre, continua le jeune homme avec chaleur; car j’ai besoin du privilège qu’ils me donnent pour dire au héros de cette comédie jouée à mes dépens:Monsieur ou monseigneur, peu m’importe, voici un gentilhomme comme vous qui vous demande compte du péril où vous avez mis, par un calcul déloyal, non sa vie, mais son honneur.

— Et ses amours ! ajouta le général en riant et en levant le bras par un mouvement charmant de jeunesse. Par ma foi ! Hervé, si c’est une folie, elle me plaît. Je ne suis pas né gentilhomme, bien loin de là, comme vous savez ; mais j’ose dire que je le serais devenu dans le temps où il ne fallait pour cela que le goût des aventures et deux grains d’audace dans le cœur. Toutefois ce projet est absolument déraisonnable, et je ne puis rien dire à l’appui, si ce n’est que je ferais de même à votre place. Quoi qu’il en soit, s’il vous arrivait malheur, vous laissez ici des compagnons qui courront sus au malandrin pour vous délivrer ou vous venger. N’est-il pas vrai, Francis ?

— Je pars avec lui, moi, dit Francis, pour voiries dames de la cour.

— Vous voudrez bien m’attendre, monsieur. — Pelven, reprenez votre épée; mais je vous conseille de quitter l’uniforme. Il faut.aussi vous munir de ce malheureux sauf-conduit. Autrement il vous serait