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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/625

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LA BAVOLETTE.

nous allons à la guerre, et j’ai besoin de tout mon monde. À demain donc, Claudine, et compte sur moi, mon enfant. — Messieurs, au Hazarin !

Le prince sauta sur son cheval, et toute la bande des petits-maîtres partit à franc étrier. Les dernières paroles du héros de Rocroy et son air bienveillant rendirent quelque espérance à la pauvre bavolet le. Celui-là du moins, parmi tant de gens sans foi et sans scrupule, ne manquait point à la grandeur de son caractère, et ne faisait pas bon marché de l’honneur d’une fille. Pour employer à la confusion de son ennemi le délai d’un jour qu’elle devait supporter, Claudine voulut s’assurer le témoignage favorable de M’e de L’Orme. Elle prit donc le chemin de Paris et marcha résolument, soutenue par l’exaltation de son esprit. Une pluie fine et glacée tombait ; la route était mauvaise, et la distance fort grande. Notre héroïne, accablée de fatigue, se perdit vingt fois dans les rues du Marais avant de trouver l’hôtel qu’elle cherchait. Marion de L’Orme, qui était en belle humeur, se mit à rire en la voyant.

— Comme te voilà faite, ma fille ! lui dit-elle, il n’y a que la vertu pour aller ainsi mouillée, transie et couverte de boue. Quel nouveau malheur me viens-tu confier ? Te veut-on faire passer encore pour une voleuse ?

Claudine raconta en peu de mots son aventure, le piège que lui avait tendu M. de Bue, son enlèvement, son séjour dans une maison malhonnête, l’ambassade déplorable de son père et la promesse du prince de lui rendre justice. Afin de ne point blesser la personne qui l’écoutait, elle eut soin d’exprimer avec modération son horreur pour les soupçons qui pesaient sur elle, et implora en termes simples et mesurés le témoignage d’une amie qui savait la pureté de sa conduite. Marion, qui eût bravé avec un front d’airain les regards d’une reine, baissa les yeux devant cette bavolet te que la défense de sa réputation menait si loin, à travers tant de fatigues et d’obstacles.

— Hélas ! dit-elle en soupirant, il n’est donc pas en mon pouvoir de faire un peu de bien ? J’avais pourtant usé de précaution. J’avais renoncé au plaisir si doux de contempler mon ouvrage et d’entendre l’expression de la reconnaissance. Il se trouve au bout de tout cela que mes présens sont funestes, et qu’en voulant secourir cette pauvre fille je l’ai poussée dans un abîme.

M’e de L’Orme passa la main sur son front comme pour en écarter des pensées pénibles :

— Rassure-toi, ma fille, reprit-elle d’un ton plus animé ; je ne souffrirai point que mes bienfaits te portent malheur. Je ne veux pas même souffrir que tu te prives d’un seul de mes présens. Il ne sera pas au pouvoir de quelques écervelés de me fermer les mains quand je les