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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/626

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REVUE DES DEUX MONDES.

ouvre, ni de te remettre le bavolet sur la tête, s’il me convient d’y poser des fleurs ou des perles. Nous leur montrerons qu’une brave fille peut avoir à la fois bonne renommée et ceinture dorée. Commence donc par ôter ces jupes mouillées. Je te vais parer comme une princesse. Nous passerons cette journée ensemble. Demain, je te mènerai dans mon carrosse, ton bracelet au bras, par devant le tribunal imposant de Saint-Maur. Juges et accusateurs, je les veux tous voir à tes genoux.

Un cœur de dix-huit ans s’ouvre aisément à l’espoir et à la confiance. Claudine, rassurée par ces discours, se laissa parer des atours que Marion lui voulut donner. Elle quitta son bavolet et se transforma encore en personne de qualité. Sa toilette était achevée lorsqu’on entendit dans la rue un tumulte extraordinaire. Des cavaliers couraient au galop portant leurs chapeaux au bout de leurs épées en signe d’allégresse. MUE de L’Orme se mit à son balcon, et, comme les gens qui so réjouissaient ainsi étaient des officiers du cardinal, elle pensa que la nouvelle fronde avait mal débuté. Parmi les passans, Harion reconnut un gentilhomme mazarin et lui demanda les nouvelles.

— C’est, lui répondit-on, que les princes de Condé, de Conti et de Longueville sont arrêtés. M. de Miossens les a conduits à Vincennes. Leurs amis les attendaient à la porte Saint-Antoine pour les délivrer ; mais on les a fait sortir par la porte Richelieu, et à cette heure ils sont au donjon.

Peu d’instans après, une bande de cavaliers du parti des princes traversa la rue en grand désordre, poursuivie par un détachement de mousquetaires qui la serrait de près. Deux ou trois coups d’arquebuse résonnèrent au loin, et puis le bruit s’éteignit.

— Ma pauvre enfant, dit Mlle de L’Orme, voilà ton procès ajourné.

— Il est perdu, répondit Claudine en pleurant.

Tandis que Marion tâchait de consoler la bavolet te, on entendit des voix d’hommes dans l’escalier : c’était la compagnie ordinaire qui fréquentait chez les personnes galantes. Mlle de L’Orme proposait à Claudine de la présenter à ce beau monde ; mais la jeune fille ne le voulut point et se cacha dans un boudoir d’où elle pouvait suivre la conversation. La plupart de ces gentilshommes étaient de petits cerveaux qui se ruinaient dans la dissipation. Une sorte d’émulation existait entre eux, qui leur faisait dire cent sottises. Non contens de parler phébus, ils grasseyaient horriblement et prononçaient quantité de mots d’une façon particulière qu’on appelait le dernier goût. Au lieu de dire foi eu, par exemple, ils disaient foi éhu. Ils ne prononçaient point bonheur, malheur, mais bonhur, malhur, et juraient sur leur honnur[1].

  1. Cette affectation de langage des petits-maîtres de 1630 rappelle celle des incroyables. Leur manière de prononcer certains mots est restée en usage chez les paysans.