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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/634

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REVUE DES DEUX MONDES.

gleterre et la Hollande elle-même ; il ne veut ni lord Protecteur, ni grand Pensionnaire. Tout souverain demande des impôts, et je n’ai point dessein d’en payer.

— Prenez garde de tomber dans l’anarchie comme Mlle de L’Orme ou Ninon de Lenclos.

— Ne craignez rien, j’ai un gouvernement à mon usage ; vous le connaîtrez quelque jour.

M. d’Estrées se frottait les mains et regardait les jeunes gens d’un air de pitié, en répétant : — La plaisante fille que cette petite Simon !

Le maréchal eut ainsi le passe-temps de voir repousser une kyrielle de soupir ans de toutes conditions. Parmi les plus notables, on peut citer les suivans : M. Luillier, vieux maître des comptes, perdu de débauche, mais riche, qui parut fort surpris de son échec, et se fit mettre à la porte pour avoir poussé l’aventure jusqu’à des offres d’argent ; son fils Chapelle, alors âgé de vingt-cinq ans, et l’un des plus agréables esprits de ce temps-là ; M. Lecamus, fils du conseiller d’état, jeune homme bien fait et capable de plaire ; Saint-Hierry, espèce d’homme à bonnes fortunes, qui ne se vantait point de toutes ses mésaventures : voilà pour la robe. Dans l’épée, il y eut un nombre plus considérable d’amoureux éconduits : le plus remarquable de ceux-ci était Ruvigny, l’ancien amant de Mlle de Rohan, et dont la disgrâce étonna si fort les habitués de la rue Saint-Côme, que la vertu de Claudine en fut réputée imprenable comme la citadelle de Lérida. On verra tout à l’heure quel était le dessein secret de notre héroïne, quelle idée fixe la soutenait inébranlable au milieu de ces écueils, et par où ses rigueurs devaient finir.

IX.

Les femmes pouvaient alors recevoir de la compagnie à peu de frais, car elles ne donnaient point à manger. Quelques rafraîchisse mens suffisaient. La plus grosse dépense était en chandelles, encore ne tenait-on pas à un grand luxe de lumières, et, pourvu qu’on trouvât les plaisirs de l’esprit, on ne regardait point au reste. Si pourtant le lecteur se demandait comment Claudine pouvait subvenir à l’état de maison qu’exige un salon toujours ouvert, il faudrait lui rappeler que l’orfèvre du pont aux Changeurs avait promis de racheter à bon compte le magnifique bracelet du feu président de Chevry. Lorsqu’elle eut atteint le bout de son argent, Claudine porta en cachette ce bracelet à maître Labrosse, qui lui en donna une grosse somme. Les gens du monde ne s’inquiètent point des affaires d’une maîtresse de maison, pourvu qu’elle leur fasse bon visage. Ceux qui fréquentaient l’académie de Saint-Côme, comme on disait moitié sérieusement, moitié par plaisanterie,