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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/635

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LA BAVOLETTE.

ne songeaient pas à s’enquérir si le directeur de cette académie avait du comptant, des rentes ou des dettes. Ils ne se doutaient point de l’économie qu’entretenait avec soin M’s Simon dans son logis pour allonger la courroie et gagner du temps. Sous les dehors de l’aisance, elle déguisait souvent les expédiens d’une personne nécessiteuse, sans qu’on en eût le moindre soupçon.

Tout cela durait depuis six mois, et les ressources de Claudine tiraient à leur fin, lorsqu’un événement politique, qu’elle attendait avec impatience, vint changer la face des choses. Le 13 février 1G51, les princes quittèrent le donjon de Vincennes. Leur accommodement avec la cour se fit aux dépens du cardinal Mazarin, qui sortit du royaume le 4 mars suivant. M. le prince reparut aussi fier qu’auparavant, et le prit si haut avec la reine, qu’il ressemblait plus à un vainqueur dictant ses conditions qu’à un prisonnier obtenant sa grâce. Entre sa sortie de Vincennes et son départ pour la Guienne, il passa un certain temps à Paris, où il tint avec ses petits-maîtres une conduite et un langage à mériter cent fois une nouvelle punition, s’il n’eût été le plus fort. Dans ce moment, la cabale des princes, introuvable depuis un an, se montra partout et se répandit dans les salons et les lieux publics.

Au rebours des autres dames qui tenaient académie, M1" Simon n’avait point d’officieux chargés de courir après les gens de réputation. Elle ne refusait l’entrée à personne, mais elle n’envoyait pas davantage ses amis faire des recrues. Cette fois, elle risqua une infraction à sa règle de conduite, en témoignant une grande curiosité de connaître ces petits-maîtres dont on parlait tant. Aussitôt les courtisans de la rue Saint-Côme s’évertuèrent à rechercher les heureux mortels que leur souveraine désirait voir. Ce fut à qui en amènerait le plus. En moins d’une semaine, il vint trente gentilshommes de la cabale, les uns obscurs, les autres fameux. M. de Bue, sans soupçonner que la demoiselle pût être sa bavolet te de Saint-Mandé, arriva un soir, introduit par l’abbé Quillet, à qui Claudine avait donné le mot. De Bue demeura ébahi en face de la maîtresse de maison, et la regarda d’un air si troublé, que le maréchal d’Estrées le crut blessé au cœur d’un trait empoisonné.

— Nous sommes, dit Claudine avec un dégagement parfait, de fort anciens amis, M. de Bue et moi. Il y a bien sept ans que nous nous connaissons. Je n’étais en ce temps-là qu’une pauvre petite fille ; mais, le lendemain du jour où j’eus l’honneur de rencontrer M. de Bue, je fis aussi connaissance avec des personnes qui passent pour être de qualité, comme M. de Boutteville, son aimable sœur et son excellente mère.

— Quoi ! s’écria le maréchal d’Estrées, vous aviez des amis de cette volée, et vous n’en disiez rien ! Allez, vous êtes une fille originale, et