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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/636

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REVUE DES DEUX MONDES.

de la plus piquante espèce. Non, en vérité, on ne vit jamais de femme comme vous, adorable Claudine !

L’engouement du vieux maréchal et le chorus dont les assistons l’assaisonnèrent ûrent comprendre à M. de Bue que le terrain n’était pas bon pour la guerre, c’est pourquoi il se confondit en respects et en civilités pour la souveraine de ce pays. Le lendemain, il revint chez Mlle Simon, et, tandis qu’il balbutiait un compliment, le maréchal d’Estrées parut, conduisant par la main M. de Boutteville.

— Je vous avais promis, monsieur le duc, dit Claudine, que nous nous reverrions un jour en meilleure compagnie que celle d’un barbier des halles.

— En effet, répondit M. de Boutteville, la compagnie est fort différente, mademoiselle, et ressemble si peu à l’autre, que je voudrais savoir le mot de cette double énigme.

C’est une étrange histoire, reprit Claudine. Je vous la raconterai un jour que je serai de loisir.

M. de Bue rougissait et pâlissait tour à tour à l’aspect de l’orage qu’un mot de plus lui pouvait faire crever sur la tète. Mlle Simon eut pitié de son air défait et malheureux. Elle s’approcha de lui en souriant, et lui dit tout bas :

— Vous êtes puni, n’est-ce pas ? Revenez me voir en signe de votre repentir, et n’oubliez point que je suis élève de votre maître le grand Condé.

— Ah ! répondit de Bue, vous me faites sentir combien je suis loin de ce prince, qui est aussi mon modèle.

Le jour suivant, Quillet, qui avait reçu des instructions secrètes, amena un capitaine des mousquetaires, qui faillit tomber à la renverse en saluant Mlle Simon.

— Monsieur Thomas des Riviez, dit Claudine, soyez le bienvenu. Vous aimez la compagnie des personnes de qualité. J’ai pensé, en effet, qu’il serait bon à un jeune homme de se faire des amis au-dessus de lui. Je vous recommanderai à M. le maréchal d’Estrées.

Thomas eût voulu se cacher au centre de la terre. Il regardait par quelle issue il pourrait s’enfuir ; mais M’e Simon le conduisit dans l’embrasure d’une fenêtre.

— Monsieur, lui dit-elle, ne me jugez point d’après-vous-même ; je mérite qu’on ait de moi une meilleure opinion. Je vous ai beaucoup aimé. Les erreurs d’une fille de la campagne trouveront grâce à vos yeux. Ne songeons plus à nos fautes passées. Je ne plaisante point en, vous promettant la protection de M. d’Estrées. Votre fortune m’occupe, , et j’ai à cœur de vous laisser un heureux souvenir. Quittez donc cet air de désespoir, et attendez sans effroi la vengeance de votre amie d’enfance.