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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/638

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REVUE DES DEUX MONDES.

Le prince passa deux grandes heures chez Mlle Simon. Il causa gaiement avec toute la compagnie, et ne demanda son carrosse qu’à minuit, en promettant de revenir souvent à Saint-Côme. M. de Bue et Thomas des Riviez avaient été sur des épines pendant cette soirée solennelle. Si Claudine eût voulu abuser de ses avantages, elle aurait pu se venger de leurs médians procédés de façon à les accabler pour la vie et les ruiner dans l’esprit des honnêtes gens. La générosité du vainqueur fit succéder à la crainte une émotion plus douce dans leur ame. Tous deux se reprirent incontinent de passion pour la bavolet te transformée. De Bue n’hésita point à exprimer son repentir d’abord, et ensuite ses tendres sentimens. La première partie de son discours fut écoutée avec bonté.

— J’y songerai, dit Mlle Simon, et je vous donnerai une réponse avant huit jours.

Cette parole peu sévère semblait permettre quelque espoir, en sorte que l’amour de M. de Bue en augmenta de moitié.

Thomas des Riviez vint, à son tour, solliciter son pardon, et, comme il l’obtint sans difficulté, il risqua un mot de tendresse. Claudine en fut émue. L’agitation de sa gorgerette allait trahir le feu qu’elle pensait éteint et qui se réveillait dans son cœur. Un effort prodigieux de sa volonté étouffa subitement l’incendie.

— J’y songerai, répondit-elle, et je vous donnerai réponse avant huit jours.

Le petit capitaine de mousquetaires proposait à son ancienne amie un mariage en bonne forme ; il est donc à croire que ses offres étaient plus sérieusement pesées que celles de son rival. M. de Bue n’avait pas grandes chances de réussir ; mais il n’en savait rien. Selon toute apparence, Claudine songea beaucoup à Thomas des Riviez durant ce délai d’une semaine. On s’aperçut, à la pâleur de son visage, qu’elle avait le sommeil troublé. L’abbé Quillet, qui l’aimait plus véritablement que les autres, en conçut de l’inquiétude et pressa de questions celle qui faisait ou sa joie ou ses peines, selon l’humeur où elle était. Il paraît que l’abbé reçut la confidence qu’il souhaitait. On le vit tenir conseil avec sa souveraine, changer de visage comme elle, pousser des soupirs, veiller jusqu’à l’aurore et parler en termes obscurs de ses craintes et de sa perplexité. La semaine était presque écoulée, lorsqu’un matin Quillet prit un carrosse de louage et courut d’un bout à l’autre de la ville pour inviter diverses personnes à souper chez Mlle Simon. M. le prince ayant accepté le premier, et M. de Boutteville après lui, le reste n’eut garde de refuser. M. d’Estrées prêta ses valets, son cuisinier, sa vaisselle et tout le nécessaire. Un mouvement inusité anima la maison de Claudine, et, vers dix heures du soir, un fort beau souper se trouva servi dans la modeste académie de Saint-Côme.