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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/640

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REVUE DES DEUX MONDES.

fois. Sur un signe que lui fit Mlle Simon, Quillet se leva et demanda un moment de silence, en disant que la reine des bavolet tes avait un petit discours à prononcer. Chacun prêta l’oreille, et Claudine, s’adressant à ses convives d’une voix haute et ferme :

— Messieurs, dit-elle, nous avons bu tout à l’heure à la sortie de M. le prince du donjon de Vincennes ; mais vous ne savez point que l’emprisonnement de son altesse, le 18 janvier de l’année dernière, m’a fait plus de chagrin et m’a porté un coup plus funeste qu’à personne en France. Monseigneur lui-même a peut-être oublié que le lendemain de cette fatale journée il devait juger un procès d’où dépendait la réputation de Claudine Simon.

— Non, interrompit M. le prince, je ne l’ai point oublié ; l’accusation est abandonnée. Il n’y a plus sujet à procès.

— Votre altesse se trompe, reprit Claudine. Les rôles sont changés aujourd’hui ; c’est moi qui suis l’accusateur, et nous trouverons peut-être l’accusé sans chercher bien loin.

— De Bue, s’écria le prince, voilà une pierre dans ton jardin. Tu es sur la sellette. Vive Dieu ! je te veux juger. Prenons que nous sommes ici en plein Châtelet : je serai le prévôt de Paris ; MM. de Boutteville et d’Estrées seront les conseillers. Quillet fera l’huissier audiencier, et M. Chapelain, la plume fichée dans sa perruque, représentera le greffier le plus imposant du monde. Mlle Simon sera partie civile, avocat, procureur et tout ce qu’il lui plaira. Fiez-vous à moi, je vais débrouiller cette affaire avec le bon sens et la justice de maître Sancho Pança dans son gouvernement. La parole est à la partie plaignante.

— La plaignante, dit Claudine, accuse ledit seigneur de Bue de l’avoir fait enlever le 12 janvier 1650, par trois estafiers, de son domicile sis au village de Saint-Mandé ; de l’avoir arrachée par la violence et soustraite à la surveillance de ses père et mère ; de l’avoir transportée dans un carrosse au quartier des halles à Paris, où il l’a enfermée chez un barbier étuviste dont la maison était réputée infâme, dans le dessein de se livrer, sur la personne de ladite Claudine Simon, à des actes criminels, dont l’accomplissement n’a été déjoué que par des circonstances indépendantes de sa volonté.

— Qu’as-tu à répondre à cela, de Bue ? dit M. le prince.

— Ce n’est pas tout, reprit Claudine : ledit de Bue, n’ayant point réussi dans ses coupables projets, à cause de l’heureuse évasion de sa victime, a, par des propos faux et perfides, donné à entendre que ladite Claudine Simon se serait volontairement livrée à lui, après s’être vendue à d’autres. Ces propos ont été tenus à Saint-Maur chez son altesse M. le premier prince du sang, en présence des amis dudit prince, ce qui a dû faire un tort à la réputation de Claudine Simon, dont elle ne peut apprécier exactement toute l’étendue et la gravité.

— Qu’as-tu à répondre ? dit le prince d’un ton plus sévère.