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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/641

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LA BAVOLETTE.

De Bue, consterné, cacha son visage entre ses mains.

— Morbleu ! s’écria le héros de Rocroy, ceci passe la plaisanterie. Cette conduite est tout simplement indigne d’un gentilhomme. Je ne ris plus, messieurs. De Bue, tu n’es plus à moi ; je te chasse.

— Un moment ! interrompit Claudine. Pour tous dommages-intérêts, je ne voulais obtenir que l’aveu complet et ingénu du crime. Le silence de l’accusé équivaut à cet aveu qui répare publiquement le tort fait à ma réputation. Je me déclare satisfaite. Je pardonne à mon ennemi, et je supplie monseigneur de laisser à mon oubli des injures son faible mérite en usant de clémence à l’égard du coupable. Sortons maintenant du Châtelet et constituez-vous, messieurs, en cour d’amour pour juger une autre affaire. Parmi les convives ici présens, j’ai plusieurs adorateurs qui se disent fort épris de ma personne très indigne. Les uns m’ont offert leur nom et leur fortune avec leur main, et ces ouvertures honnêtes méritent ma reconnaissance ; les autres se sont expliqués moins clairement et n’ont pas été au-delà de la peinture plus ou moins vraie de leur flamme amoureuse. Je ne trahirai point leur secret ; mais je prierai monseigneur et ses conseillers de me donner leur avis sur la conduite que je dois tenir.

— Il n’y a point à balancer, dit M. le prince. Choisissez un bon mari dans la première catégorie. Ne consultez que votre cœur, ma chère Claudine. Je vous ferai un cadeau de noces qui lèvera les difficultés, s’il s’en présente. Et plus tard, dans la seconde catégorie, je vous autorise à prendre un amant, si le mari vous donne des sujets de mécontentement, car je vous crois une femme incomparable, un trésor de vertu. Tel est mon avis et celui de mes conseillers. N’est-il pas vrai, messieurs ?

Les conseillers se rangèrent unanimement à l’opinion de M. le prince.

— Eh bien ! reprit Claudine, voici le moment de vous ouvrir le fond de ma pensée : l’aventure du 12 janvier, les procédés insolens et cruels de mon ravisseur, le coup porté à mon honneur, ne m’ont inspiré, depuis un an, qu’un ardent désir, celui d’arriver où je suis ici à cette heure, de tirer vengeance noblement du mal qu’on m’avait fait, de forcer les gens à me reconnaître pour une honnête fille calomniée. Afin d’atteindre ce but difficile, j’ai travaillé, étudié, invoqué le secours et les leçons des maîtres de langue, de musique et de bel esprit ; j’ai acquis des manières et ce qu’on appelle du monde. Je le confesse à ma honte : les hommages, les respects, les adorations, les flatteries et même les déclarations d’amour ne m’ont presque point touchée. Ma fierté rancunière, l’épée à la main, montait la garde aux portes de mon cœur, et n’y laissait rien pénétrer, comme disent les dames qui cultivent le phébus. Un seul de mes amoureux, meilleur