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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/919

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où se trouvait alors Andrea Mantegna. Peintre savant, esprit sérieux et investigateur, il était plus qu’aucun de ses contemporains capable de donner à l’art naissant une impulsion décisive et d’augmenter l’étendue de ses ressources. Le burin de Mantegna, manié avec une fermeté qui n’est déjà plus de la sécheresse, n’imite pas encore les effets de la peinture, mais il imite du moins les effets du crayon. Au lieu de se contenter, à l’exemple de Pollaiuolo, de hachures timides et soutenant à peine le contour, il procède par masses d’ombre au moyen d’un grain plus serré, il indique les dégradations du ton, il cherche la saillie par le modelé intérieur, et ne se borne plus à tracer la silhouette d’une forme. En un mot, Mantegna graveur n’oublie pas sa science de peintre ; c’est là ce qui le particularise, et ce qui lui mérite la première place parmi les maîtres italiens du XVe siècle.

Cependant l’art d’imprimer les estampes s’était propagé en Allemagne. Martin Schoen, que ses compatriotes tinrent long-temps pour le Christophe Colomb de cet art et qui aujourd’hui n’en est pas même l’Améric Vespuce, puisqu’il ne lui a pas laissé son nom, Martin Schoen avait, dès 1460, popularisé dans son pays la découverte de Finiguerra. Aussi, tant que subsistèrent les doutes sur l’époque où avaient paru les premières épreuves des nielles florentins, l’Allemagne s’arma-t-elle de cette date comme d’un titre pour revendiquer à son honneur et à l’honneur de Martin la priorité des gravures de ce dernier. La légèreté des hypothèses sur lesquelles reposait alors l’opinion favorable à l’orfèvre de Florence, donnait beau jeu aux défenseurs intéressés de celui de Colmar[1], et les érudits allemands étaient bien près de triompher de guerre lasse, lorsque l’abbé Zani vint, preuves en main, mettre leur victoire à néant. Après quelques derniers efforts pour conserver la position, après la résistance désespérée de Bartsch, l’auteur du Peintre-graveur, il fallut bien se rendre à l’évidence et reconnaître que Martin Schoen était irrémissiblement convaincu de n’avoir imprimé aucune estampe antérieure à celles de Finiguerra. On pouvait croire qu’après une si éclatante déchéance, Martin et ses œuvres demeureraient du moins à l’abri d’humiliations et de contestations nouvelles ; mais le pauvre homme n’en était pas quitte, puisqu’on a été jusqu’à le soupçonner récemment d’avoir fait un voyage à Florence pour y dérober quelque peu de la manière italienne, soupçon dont l’injustice est évidente lorsqu’on examine ces gravures ingénuement

  1. Martin Schoen était né à Culmbach, petite ville du cercle de Franconie, mais il passa la plus grande partie de sa vie à Colmar, où il était établi et où il mourut en 1486. Vasari le désigne tantôt sous le nom de Martin d’Anvers, tantôt sous celui de Merlin le Flamand. Cela s’explique : pour un Toscan du XVIe siècle, artiste d’Allemagne, artiste de Flandre, ce devait être tout un, de même qu’aux yeux des anciens Romains les étrangers étaient indistinctement Les barbares.