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persuader le prince régent, il refusa la mission qui lui était offerte.

Cette résolution ne pouvait modifier la politique impériale. Napoléon n’entendait pas laisser le Portugal couper la ligne du blocus qu’il prétendait étendre à tout le continent : il décida donc, sur-le-champ, de remettre à un autre la négociation que déclinait le maréchal Lannes, et, comprenant qu’une affaire aussi difficile et aussi aventurée exigeait un agent exceptionnel, il jeta les yeux sur un de ses lieutenans les plus vigoureux et les plus sûrs, le général Junot, et lui proposa l’ambassade en des termes qui équivalaient à un ordre.


II

Junot, volontaire de 1792, sergent au siège de Toulon, où Bonaparte avait remarqué son héroïque sang-froid sous le feu des batteries anglaises, aide de camp de Napoléon pendant la première campagne d’Italie et en Égypte, s’était couvert de gloire au combat victorieux de Nazareth ; dès lors général, puis commandant de la 1re division militaire à Paris, il avait été, dès la proclamation de l’empire, nommé premier aide de camp du souverain, colonel général des hussards, et grand-aigle de la Légion d’honneur. À trente-cinq ans, criblé de blessures, il avait conquis une des plus belles renommées militaires de son temps : sa bravoure était légendaire, sa fidélité chevaleresque. Issu d’une famille de bonne bourgeoisie de Bourgogne, intelligent et instruit, supérieur par son éducation à beaucoup de ses compagnons d’armes, il résumait en soi les mérites de cette jeune génération formée dans les armées républicaines, et qui, de la Révolution dont elle avait défendu l’œuvre nationale, n’avait connu que les vertus et la gloire. En même temps, et confondant en son cœur l’amour pour la patrie avec l’affection la plus enthousiaste pour son général, il était au premier rang de ces hommes sur lesquels Napoléon pouvait compter avec certitude et dont le dévoûment égalait l’énergie. Le premier consul l’avait marié à une jeune fille du meilleur monde, Mlle de Permon, dont la mère, Corse de naissance et Grecque d’origine, avait entouré de la plus affectueuse sollicitude la famille Bonaparte au temps de sa détresse et de son obscurité. Il occupait aux Tuileries, tant par ces souvenirs que par ses qualités personnelles et celles de sa femme si remarquable par sa distinction et son intelligence, une fort grande situation : « L’empereur, a dit M. Thiers, aimait Junot, qui avait de l’esprit naturel, un caractère trop ardent, mais un dévoûment sans bornes. » Le jeune général se trouvait donc assez bien désigné pour une