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les plus belles qualifications sont réservées aux corps délibérans et aux villes. Les conseils municipaux, par exemple, ont droit au titre d’illustre, d’illustrissime ou d’excellentissime. Et comme ils constituent une personne morale, on s’adresse à eux au singulier : « Excellentissime monsieur le conseil municipal. » Pour les villes, il faudrait un dictionnaire. Elles possèdent chacune, outre leurs armes, une sorte de légende héroïque, vraiment de belle allure, qui accompagne leur nom et résume leur histoire. Et ne croyez pas que la tradition soit brisée, qu’il s’agisse uniquement d’usages anciens, d’une liste fermée, destinée à perdre avec l’âge, un à un, ses alinéas. Je viens de lire un décret qui accorde le nom d’excellence à un ayuntamiento, et celui de villa à deux pueblos. Madrid est impérial, coronada, muy noble, muy héroica y excelentissima villa ; Malaga, siempre la primera en el peligro de la libertad y excelentissima ciudad ; Jaen, muy noble, muy leal, guarda y defensa de los reinos de Castilla, y excelentissima ciudad ; Barcelone, « deux fois très noble, deux fois très fidèle, cinq fois notable, insigne tête et colonne de toute la Catalogne, éminente et excellentissime cité ; » Séville est « très noble, très loyale, très héroïque, invaincue et excellentissime. »

Je suis frappé de cette politesse grandiose des hommes entre eux. J’y crois voir, beaucoup mieux que dans la familiarité, le signe de mœurs démocratiques, parce que le sans-gêne des appellations est un mensonge qui ne satisfait personne, un sacrifice dont la vanité se venge immédiatement par d’autres ambitions.


— Le théâtre de l’Apolo donne, en ce moment, avec beaucoup de succès, la Verbena de la Paloma, c’est-à-dire la Fête de la Vierge de la colombe, une sorte de vaudeville populaire, tout à fait dans le goût espagnol. On y voit un pharmacien goguenard et potinier, un vieux monsieur noceur qu’une fille abandonne pour un jeune amoureux, une brave cabaretière vite apitoyée par les misères de cœur, des buveurs, des mantilles, des commères de faubourg, qu’un air de guitare fait encore danser, des serenos avec leur lanterne. Et tout le monde rit. Les jeunes filles savent la partition par cœur, et la chanteraient, au besoin, avec les acteurs. J’ai passé là une heure très agréable, dans une jolie salle, pour le prix modeste de 0 fr. 75. La soirée était divisée en quatre représentations. On pouvait retenir son billet pour l’une ou l’autre des quatre pièces. Il y avait foule. J’ai attendu sous le péristyle. Les spectateurs de la première pièce sont sortis par une porte, nous sommes entrés par une autre. Aucune bousculade ne s’est produite. Et j’aime assez cette manière de prendre le théâtre par