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nos chevaux tenus en main par des gendarmes. Des officiers trottent ou galopent dans le chemin ; ils se dépassent les uns les autres et s’éclaboussent sans cérémonie. Des Cosaques de l’Oural, formés en bataille, attendent la fin de l’affaire ; tout à l’heure encore nous les voyions battre l’estrade ; ils couraient comme une vermine sur la blanche toison de la neige. Puis, le feu n’étant pas leur affaire, ils se sont retirés à l’instant du feu. Un d’eux porte en croupe sa prise de bataille, la dépouille d’un renard : il a tué la bête d’un coup de sabre. On nous conte comme il galopait autour d’elle, selon sa tactique tournoyante de Cosaque ; l’animal affolé allait rétrécissant son cercle.

— Tu as mis bien du temps avant de frapper ! observait moqueusement un camarade.

— Crois-tu que j’allais endommager la peau ? répondit ce chasseur ; je voulais frapper au museau.

Leurs petits chevaux velus dont la queue balaie la neige, somnolent immobiles et braquent de grosses têtes au bout de brutes encolures ; eux, assis dans la selle haute, le buste et la tête hardiment dégagés, semblent debout sur l’étrier ; leur casquette au ruban amarante penche à droite ; des boucles de cheveux bouffent sur leur tempe gauche ; des anneaux d’argent sont à leurs oreilles. Ils fixent sur le combat leurs yeux aigus.

La troupe déployée couvre tout le tableau de taches dansantes ; ce mouvement nombreux et sombre sur l’étendue sans couleur cause un éblouissement et presque un malaise. Sur la chinèle grise les soldats portent le havresac en sautoir, — on n’emploie plus ici le sac à bretelles ; — ils ont autour du cou le bachlik dont les bouts croisent sur la poitrine et sous le ceinturon. Quelques-uns, tombés à terre, figurent dans cette bataille les blessés ou les morts. De même que les autres, bien portans, n’ont pas l’air très sain, ceux-ci qui sont souffrans n’ont pas l’air malade. Ils disent simplement qu’ils n’ont plus de forces et que la petite voiture va venir les ramasser. Mais déjà le crépitement confus du feu à volonté succède aux salves nettes et sèches de tout à l’heure ; le canon redouble sans qu’on puisse distinguer dans ce tir tout blanc la besogne qu’il fait. Bruit de hourrahs, sonnerie de clairons. Le rang lancé à l’assaut est une marée qui nous entraîne ; puis la retraite sonne derrière nous ; un officier, mettant pied à terre, s’approche des cibles d’un pas