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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/40

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galères du roi Très-Chrétien voguaient dans toute la Méditerranée, y faisaient la police sans rencontrer de rivaux ; la tutelle des chrétiens ne pouvait appartenir qu’à la France, puisqu’elle avait seule la force matérielle de les protéger. Au XIXe siècle, les circonstances ont changé : l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie, l’Italie, l’Autriche ont des escadres dans la Méditerranée, des ambassadeurs à Constantinople, des canons, des soldats. Si la France ne veille pas jalousement sur ses privilèges, si elle cesse de les légitimer par l’importance de ses services, nul doute que malgré tous les textes, la « nationalisation » des missions ne finisse par se faire à notre plus grand préjudice. C’est le vœu et le but de tous nos rivaux. Toujours aux aguets, surveillant notre politique, ils épient nos défaillances et escomptent nos erreurs. Ils voudraient pouvoir dire, ils disent déjà que c’est la France elle-même qui renonce à ses antiques prérogatives. Arguant de la circulaire de 1888 qui ordonne de respecter notre protectorat « là où il est en vigueur, » ils cherchent les points où nous aurions cessé l’exercice effectif de notre fonction. Qu’un de nos agens, oubliant le sage conseil de Gambetta, exporte son anticléricalisme ; qu’un de nos ministres semble retomber dans l’ornière du Culturkampf ; nos rivaux s’emparent aussitôt de nos fautes et les exploitent.

Par bonheur, les passions antireligieuses n’ont pas aveuglé à ce point nos hommes d’État, qu’en général ils n’aient vu le danger. Presque tous ont su défendre notre protectorat, ce boulevard solide de notre puissance extérieure. S’il y a eu des défaillances, elles ont été l’erreur momentanée de ministres trop passagers ; les conséquences de nos fautes de 1887 et de 1891 ont été trop sensibles, dans l’affaire de Kiao-Tcheou, pour que le souvenir n’en reste pas longtemps dans l’esprit des hommes qui ont la charge des destinées de notre pays. C’est à tort d’ailleurs que l’on prétendrait que la France a négligé sa fonction tutélaire. Accusant réception à M. Hanotaux d’une lettre de remerciemens du Préfet de la Propagande, notre chargé d’affaires à Pékin, M. Dubail, écrivait le 12 septembre 1897 : « … ce témoignage de gratitude est légitime, car je ne crois pas qu’à aucun autre moment, notre protectorat religieux ait été aussi solidement établi en Chine et ses résultats aussi efficaces[1]. » Les faits abondent pour étayer cette

  1. Livre jaune (Chine 1894-98), n 54.