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Ce démocrate n’avait pas de préjugés pour l’empêcher de voir les choses telles qu’elles sont, et de frayer avec les hommes en se mettant en rapport avec leurs idées et leurs mœurs. Du petit au grand, il a toujours pratiqué cette méthode, et s’en est bien trouvé, non seulement pour lui, mais pour nous, car la France n’a eu qu’à se féliciter de la confiance qu’inspirait sa personne et de l’attrait qu’elle exerçait. Il avait su plaire. Il n’y avait mis aucun effort. Là encore, son heureux caractère le servait naturellement. Il se trouvait partout à sa place ; il savait s’y tenir et maintenir les autres à la leur. Pendant les quelques jours qu’il a passés en Russie, il a su conquérir tous les suffrages dans des circonstances nouvelles pour lui, et qui, en somme, pouvaient passer pour une épreuve. Pas un moment il ne s’est trouvé inférieur à une situation à quelques égards délicate, malgré la haute faveur dont l’entouraient des souverains amis. Mais ce n’était là que le côté extérieur de son rôle, et non pas le plus important. Il connaissait l’Europe, il connaissait le monde, et, dans les difficultés qui se présentaient au jour le jour, il était homme de très bon conseil. Il pouvait exercer par-là sur son gouvernement, et il a exercé dans plus d’une circonstance une influence excellente. Le secret de cette influence est que M. Félix Faure était avant tout un homme de bon sens. Il savait fort bien ce que nous pouvions et ce que nous ne pouvions pas ; où commençaient nos intérêts réels et où ils finissaient ; jusqu’à quel point il convenait d’engager nos efforts et celui où il valait mieux les économiser pour une occasion meilleure. Cet homme auquel on reprochait de mettre dans les choses auxquelles il touchait un certain apparat, n’y apportait aucun amour-propre lorsqu’elles devenaient sérieuses : il les mesurait très exactement à la valeur qu’elles avaient pour le pays. Avec lui, les aventures n’étaient pas à craindre. On le savait de l’autre côté des frontières comme de celui-ci, et de là venait, pour une très grande part, l’estime dont il jouissait. Elle s’est manifestée partout le lendemain de sa mort. On connaît les témoignages de regret et de respect qui se sont produits. Tous les souverains du monde, tous les gouvernemens ont tenu à honneur d’en donner à sa mémoire. La France n’a pu qu’être touchée de l’unanimité de ces sentimens. Mais notre république parlementaire devait être particulièrement sensible aux manifestations des parlemens étrangers, à Berlin, à Rome, à Madrid, à Londres : nous ne parlons ni de Vienne, ni de Pest, parce que, comme on le sait, la vie parlementaire y est momentanément suspendue. Au Reichstag allemand, le prince Hohenlohe, chancelier de l’Empire, a prononcé au nom du gouvernement