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sol, elle est aussitôt devenue parfaite, si parfaite que, aujourd’hui encore, elle n’a pas dépassé le degré de beauté où l’a soudain élevée l’œuvre de Pouchkine. » A analyser cette beauté de l’œuvre de Pouchkine, le prince Volkhonsky a consacré toute une leçon, la plus éloquente peut-être, et certainement la plus instructive de la série entière de ses huit leçons ; et nous n’avons pas de peine à le croire quand il nous dit que jamais, depuis lors, la littérature russe n’a plus retrouvé un aussi complet équilibre de la forme et du fond, un mélange aussi harmonieux de vérité et de poésie, ni autant de naturel, ni autant d’élégance. Pouchkine, tel qu’il nous le montre, nous apparaît comme un de ces rares et précieux artistes qui, sans lutte, sans effort, sans ambition excessive, atteignent d’emblée à la perfection : et ceux-là ont, en effet, entre autres privilèges, celui de ne pouvoir pas être surpassés. Mais, si la littérature russe, après Pouchkine, n’est pas devenue plus parfaite, si même elle ne s’est pas maintenue au degré de beauté où l’avait élevée son génie, sans cesse en revanche elle a marché, elle s’est transformée, elle a renouvelé son caractère et ses moyens d’expression : et, comme avait fait jadis la primitive littérature russe, elle a évolué avec une rapidité, un élan prodigieux. La première œuvre notable de Pouchkine a paru en 1818 : trente-quatre ans après, en 1852, l’année de la mort de Gogol, la littérature russe avait déjà vu naître les Souvenirs d’un Chasseur, de Tourgueneff (1844-1850), les Pauvres Gens, de Dostoïevsky (1846), Enfance, Adolescence et Jeunesse, du comte Léon Tolstoï (1852). Encore ces trois grands hommes, Tourgueneff, Dostoïevsky, et Tolstoï, sont-ils loin d’être, avec Gogol et Pouchkine, les seuls agens importans de l’évolution littéraire en Russie. Chaque année de ce siècle, jusqu’en 1860, en a, pour ainsi dire, produit de nouveaux. Sans parler des deux contemporains de Pouchkine, Karamzine et Joukofsky, ce sont, par exemple, les poètes Koltzof, Lermontof, Nekrassof, c’est le critique Belinski, c’est Ostrovsky, l’auteur dramatique, et le romancier Gontcharof. Tous ceux-là, et bien d’autres dont le prince Volkhonsky nous explique le rôle, ils ont tous amené des affluens au grand courant commun. Il y a eu là, durant un demi-siècle, une poussée si active, et succédant à une si longue période d’immobilité, qu’aucune autre histoire, en effet, ne nous montre rien qui y soit comparable.

Hélas ! la poussée a été aussi courte qu’elle a été active. Sans qu’elle pût, cette fois, invoquer l’excuse d’une nouvelle invasion tartare, la seconde littérature russe s’est brusquement arrêtée, comme avait fait la première il y a six cents ans. C’est ce que le prince Vol-