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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/472

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khonsky n’a pas dit à ses auditeurs américains ; mais le fait même qu’il n’a pas joint aux noms de Tourgueneff, de Dostoïevsky et de Tolstoï un seul nom plus récent suffirait à prouver qu’il n’y a aujourd’hui personne qui puisse prétendre à remplacer ces trois écrivains. Non que le vide soit encore aussi complet en Russie qu’il l’était sous le règne du khan Mamaï : mais on a l’impression que, du jour au lendemain, tout le niveau de la littérature s’est sensiblement abaissé. Phénomène singulier, désolant, et que cependant tous les écrivains russes sont forcés de reconnaître.

Peut-être, après cela, n’est-ce qu’un phénomène passager, une fatigue dont les lettres russes se remettront bientôt. Un critique des plus considérés, M. Bourénine, attribuait récemment la décadence de la littérature russe à la grandeur anormale du génie du comte Tolstoï. « Tout talent paraît médiocre en face de ce génie, écrivait-il, et les mieux doués des jeunes auteurs y perdent leur courage. » Mais peut-être est-il réservé au comte Tolstoï de rendre à ces jeunes gens le courage qu’ils ont perdu, en leur indiquant une voie nouvelle qu’ils pourront frayer. L’illustre vieillard s’apprête, comme l’on sait, à publier un roman nouveau, et non pas un roman philosophique, ni un pamphlet, ni un sermon, mais un grand roman d’observation et de vie, destiné, suivant son expression, à « décrire les formes diverses de l’amour dans un cœur. » Ce roman s’appelle Résurrection. Puisse-t-il marquer l’heure d’une seconde résurrection de la littérature russe !


T. DE WYZEWA.