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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/699

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COUCHANT SURNATUREL


Quelle fée inconnue et quel magicien
Subtil, fondant leur double et suave palette,
Ont ainsi fait le soir d’une douceur complète,
Sur la cité de songe où vécut Titien ?

Un chant léger s’envole au ciel vénitien ;
Les palais d’ambre éteint, de nacre violette,
Sont assoupis au fond du canal, qui reflète
Leur ancienne splendeur dans son miroir ancien.

Un or surnaturel et vert baigne Venise,
Transfigure les eaux tragiques, divinise
La noble ascension des dômes radieux ;

Et cette auguste mer, qui jamais ne déferle,
Devient, pour les regards éblouis de tant d’yeux,
L’émeraude fluide où se meurt une perle.


COUCHANT GRANDIOSE


Sur Rome, dont les vieux édifices sans nombre
Rêvent du peuple altier qui subjugua les rois,
Ce morne couchant tisse un suaire d’effrois,
Dont l’Histoire épaissit la tragique pénombre.

Et, dans l’onde écarlate où le globe ardent sombre,
Eclaboussant au loin de spectrales parois,
S’engloutit ta grandeur, ô cité qui décrois,
Et qu’envahit déjà la Solitude sombre.

Thermes, palais, tombeaux, temples abandonnés
Encore un soir se sont de pourpre couronnés,
Et l’âme du poète ineffablement vibre ;

Car il songe, accoudé sur un pont hasardeux,
Que cet astre et ce fleuve, ensanglantés tous deux,
Sont l’antique Soleil et le glorieux Tibre.