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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/124

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inductions. Que s’il y a parfois des déceptions et des surprises, ces surprises font partie des événements que nous aurions pu prévoir, mais qui, étant accidentels et rares, nous paraissent négligeables ; car, « que de choses, dit Pascal, ne faisons-nous pas pour l’incertain comme d’aller en mer ! » Quelquefois aussi, même en les prévoyant, nous bravons ces dangers avec imprudence ; mais ce n’est pas la faute de la nature, c’est la faute de notre légèreté qui se met en révolte avec les avertissements de l’expérience et de la raison. Il arrive aussi très souvent que la raison se trompe et qu’elle suppose dans la nature des choses qui n’y sont pas : mais ici encore, ce n’est pas qu’il y ait désaccord entre la raison et la nature ; c’est que nous nous mettons en désaccord avec les lois de notre propre raison qui, bien consultée, ne doit pas nous tromper, si nous savons nous en servir.

La science à son tour puise dans la même conviction la certitude de son infaillibilité. Même dans l’ordre purement phénoménal nous avons toujours affaire à quelque chose de rationnel. On parle sans cesse de la fugacité, de la mobilité, de l’inconsistance des phénomènes ; et cependant, même un phénomène n’est ce qu’il est qu’à la condition d’être déjà quelque chose d’organisé et de raisonnable ; car si, au moment précis où nous l’observons, il était déjà autre qu’il n’est, il n’y aurait pas d’observation ni même de phénomène possible. Ce que nous appelons un phénomène, ce que nous saisissons par nos sens est déjà un groupe rationnel et systématique de phénomènes plus simples. L’arc-en-ciel est une résultante complexe, mais mathématiquement déterminable de phénomènes élémentaires ; une onde lumineuse est le résultat lié et enchaîné d’un nombre infini de petites vibrations : ainsi partout il y a de la raison, et à l’infini, jusque dans les derniers éléments, s’il y en a, du tissu de l’univers.

Ce n’est pas tout : nous n’observons pas au hasard. L’observateur choisit le sujet de ses observations. S’il considère un liquide dans un tube, il fixera son attention sur un seul phénomène, par exemple la capillarité, et écartera les autres. Les phénomènes de la nature forment donc en quelque sorte des séries séparables les unes des autres pour se conformer aux analyses de notre esprit ; il y a déjà, avant nos classifications, des classes distinctes de phénomènes distribués dans un certain ordre ; et cela est particulièrement visible dans la classification des êtres organisés.

L’expérience rend encore plus sensible cette vérité, que la nature est raisonnable, ou, si l’on veut, rationnelle, intellectuelle, logique. Qu’est-ce, par exemple, que le procédé que l’on appelle expérimen-