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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/125

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p. janet. — réalisme et idéalisme

tation ? c’est, comme l’a montré Cl. Bernard, la vérification d’une hypothèse : c’est une conséquence déduite à l’avance de cette hypothèse comme d’un principe ; c’est la conclusion d’un raisonnement. En expérimentant, nous amenons la nature à tirer elle-même cette conséquence. Il y a donc en elle en quelque sorte un syllogisme immanent.

Cette rationalité de la nature, s’il est permis de dire, est bien plus frappante encore par l’applicatien des mathématiques à la nature, soit en astronomie, soit en physique. En astronomie, le calcul découvre a priori la place où l’on doit découvrir une planète ; et cette planète vient à point nommé éclore en quelque sorte à la place où elle est appelée. On prévoit quelques années d’avance l’heure, la minute, la seconde, où Vénus passera devant le Soleil ; et tous les gouvernements de l’univers votent des fonds pour des expéditions scientifiques compliquées et dispendieuses, sans douter un seul instant que la prédiction de la science s’accomplisse à l’heure voulue. En physique, dans les parties du moins qui sont devenues mathématiques, on n’a presque plus besoin de regarder les phénomènes. Les complications les plus éloignées possibles des principes peuvent être calculées d’avance, et l’expérience donne raison à la prévision. Ainsi la physique devient une géométrie, et l’on peut se représenter une science absolue de la nature qui n’aurait plus besoin de la nature pour être construite. C’est bien là ce qu’avaient rêvé les idéalistes allemands ; mais ce n’est pas par le chemin qu’ils ont pris qu’on peut y arriver.

Non seulement il y a rencontre* et accord entre la nature et l’esprit, mais il y a entre ces deux termes analogie, ressemblance, affinité. Non seulement la nature obéit aux lois de notre esprit, confirme nos inductions, nos calculs (ce qui implique qu’il y a en elle quelque chose de logique et rationnel) ; mais de plus la nature paraît semblable à nous par l’intelligence ; elle semble agir avec l’art qu’emploierait l’intelligence elle-même, si elle voulait créer les produits de la nature. La nature est un artiste qui agit intérieurement, disait Aristote, au lieu d’agir du dehors. « Si l’art des constructions navales, dit-il, était dans le vaisseau, l’art agirait comme agit la nature. » Il y a donc de l’art dans la nature. Réciproquement il y a du mécanisme dans l’esprit. L’esprit ne sait pas plus comment il pense, que la nature ne sait comment elle agit ; l’esprit a ses instincts et ses habitudes, qui lui donnent l’air d’agir à l’aveugle, de même que la nature ; il y a de la nature dans l’esprit ; il y a de l’esprit dans la nature. Enfin, le sentiment esthétique peut encore servir à prouver l’affinité, la parenté de la nature et de l’âme. La nature, pour celui qui sait la