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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/126

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sentir, lui parle véritablement : elle a une âme, elle a une vie ; elle le captive, elle l’enivre, elle se fait aimer, et il semble qu’elle aime elle-même. Ainsi, entre la nature et l’esprit, il n’y a pas seulement conformité, mais encore confraternité.

Cette union de la nature et de l’esprit est donc un fait incontestable. Le problème est de l’expliquer.

Deux solutions se présentent : ou l’on expliquera la pensée par la nature, ou la nature par la pensée. La première de ces deux solutions est ce qu’on appelle le réalisme ; la seconde est l’idéalisme. Chacun de ces deux systèmes peut faire valoir en sa faveur de fortes raisons.

Prenons en effet le premier. Nous avons jusqu’ici posé la pensée et la nature en face l’une de l’autre comme deux mondes équivalents et opposés. Dans la réalité, il n’en est pas ainsi. La pensée fait elle-même partie de la nature. La seule pensée que nous connaissions directement, c’est la nôtre : c’est l’intelligence humaine. Or l’intelligence humaine est liée à l’organisation et paraît en suivre toutes les vicissitudes. Point de pensée sans cerveau ; point de cerveau sans pensée ; point d’altération ou de modification du cerveau qui ne soit suivie d’une altération ou d’une modification de la pensée. Ainsi les trois tables de Bacon, ses tables d’absence, de présence, de comparaison, déposent en faveur de l’hypothèse qui fait naître la pensée de l’organisation. De plus, l’humanité qui est la seule espèce de créatures raisonnables que nous connaissions, a son histoire ; et si loin qu’on fasse remonter son origine, on rencontre toujours une nature avant elle ; elle n’a pu paraître que dans une nature déjà formée. Il est donc rationnel de la considérer comme le prolongement et le résultat d’une nature préexistante.

Là est le fondement du réalisme ; celui de l’idéalisme n’est pas moins solide.

Si nous nous demandons en effet quelle est la première vérité, la plus certaine, la seule même dont il soit impossible de douter, Descartes a répondu, et toute la philosophie moderne lui a donné raison, que c’est cette vérité première qu’il a formulée ainsi : je pense, je suis. Celle-là, en effet, précède toutes les autres, et elle en est la condition : je ne puis rien penser sans me penser moi-même, sans penser que je pense et par conséquent que je suis. Il semble que nous n’apercevions toutes les autres vérités qu’à travers celle-là. Les choses extérieures elles-mêmes n’existent pour nous qu’à condition de passer par notre conscience. Dire qu’il y a des choses extérieures, cela revient à dire : je suis modifié par telles perception s auxquelles je suis contraint de supposer une cause extérieure. De plus, l’analyse