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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/134

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ture qui, inventant peu, exprime avec précision et vigueur. Et d’ailleurs, la poésie, qui réunit ces deux qualités, est l’art souverain. Cependant, même aux âges où des inventions accumulées en tout genre ont développé outre mesure un besoin nouveau, le besoin d’inventer pour inventer, et où des découvertes multipliées en ont fait naître un autre, celui de découvrir pour découvrir, il n’a jamais suffi à une œuvre d’art, pour être jugée belle, de flatter ce double penchant et d’être soit fantaisiste et originale, soit documentaire et instructive. Et, quant aux époques plus anciennes, ce n’était certainement point par sa nouveauté ni sa vérité même, par son côté ingénieux ou pseudo-scientique, qu’une statue ou une poésie était appréciée. Combien de peuples qui, en fait d’art, n’ont connu que l’épopée ou l’architecture, et qui ont répété pendant des siècles, sans jamais se lasser, les mêmes chants traditionnels, les mêmes formes de temples, de palais ou de tombeaux, impressionnantes quoique inexpressives, et jugées belles précisément parce qu’elles n’étonnaient point ! Cinq ou six mille ans, l’Égypte a fait et refait, avec un inépuisable amour, sa pyramide, son temple massif, son obélisque. La Chaldée n’a pas été moins fidèle à sa tour à degrés, à ses motifs de décoration, à ses lions affrontés, ni la Chine à ses toits relevés comme des tentes, où se marque peut-être l’origine pastorale de son peuple. La Grèce même, malgré cet amour des nouveautés qui la signale entre toutes les nations éteintes, qu’a-t-elle fait que se recopier cent fois en se variant à peine ? Et, depuis l’époque reculée (xiiie siècle environ avant notre ère) où le rayonnement de l’art oriental commence à la toucher, jusqu’au vif siècle, où son génie s’éveille, ne s’est-il pas écoulé cinq cents ans, passés pour elle en redites de l’Orient ? Voilà pour l’invention. Mais dira-t-on que l’expression était recherchée ? Oui, souvent ; jamais toutefois pour elle-même. Expressif, le sculpteur ou le peintre égyption l’était-il ? Non ; il était narratif plutôt. Quand il déroulait en processions de profils alignés, le long de ses bas-reliefs, suite et complément de ses hiéroglyphes, les légendes des dieux ou les victoires des rois, il se proposait moins d’exprimer, de faire comprendre le personnage sculpté ou peint, que de se faire comprendre par lui ; et, avant tout, il s’agissait ainsi d’imprimer dans l’âme du spectateur l’admiration du roi ou l’adoration du dieu, de fortifier ce sentiment social en son temps et moral au plus haut degré, principe d’union et de force nationale. Il est vrai que les statues de l’ancien empire sont vivantes comme des portraits ; mais est-ce à dire que le sculpteur était réaliste ? Pas le moins du monde. Son réalisme apparent était commandé par le but profondément religieux, et social par conséquent, qu’il poursuivait. L’embaumeur