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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/135

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g. tarde. — l’art et la logique

qui momifiait les morts pour les rendre aptes à la résurrection future, ne suffisait point à rassurer l’Égyptien ; son cadavre embaumé pouvait être détruit ; en prévision de cette éventualité funeste, le statuaire était chargé de fournir un fac-similé indestructible, un équivalent du corps, en diorite ou en granit, le plus dur et en même temps le plus ressemblant qu’il se pourrait. De là, sur tous les débris de l’art précisément le plus antique, ce cachet individuel qui frappe nos artistes contemporains, mais où ils auraient tort de se mirer, même pour y voir la preuve que le talent d’individualiser n’est pas le dernier terme du progrès. Exprimer l’individu, non pour le plaisir de faire admirer cette expression, qui devait rester éternellement cachée au fond d’une tombe, mais pour garantir un homme contre la peur de l’anéantissement posthume, pour combler son cœur d’une sécurité profonde, en lui donnant l’assurance d’atteindre une félicité surnaturelle où se tournaient ensemble, pour se concilier par cette convergence dans l’imaginaire, les vœux de tous les enfants du Nil : telle était la haute mission du vieux sculpteur qui a peuplé tant de nécropoles. Quoique plus humble en apparence que celle du ciseleur des bas-reliefs royaux ou divins, elle n’était pas moins noble ; et l’un ne contribuait pas moins que l’autre à l’harmonie majestueuse de ce peuple assis et heureux comme ses colosses. — On ne niera point non plus, et c’est une banalité de le rappeler, que l’art ait été en Grèce, à la belle époque, et en Occident au moyen âge, un principe d’accord social. Qu’on songe aux Grecs rassemblés pour entendre une tragédie de Sophocle ou un chant d’Homère, aux Français du xiie siècle réunis dans une cathédrale gothique qui les apaise momentanément et les enivre de son plain-chant, de ses vitraux, de sa magie, de ses espérances paradisiaques chantées, sculptées, émaillées ou peintes, durant une trêve de Dieu ! Il n’est pas jusqu’au sculpteur athénien qui faisait la statue d’un athlète vainqueur au ceste ou au pugilat, il n’est pas jusqu’au poète lyrique qui cherchait à éterniser le nom de ce triomphateur subalterne, qui ne fit œuvre patriotique en fortifiant le goût national pour cette gymnastique traditionnelle propre à entretenir la santé et la joie, la discipline et la vigueur militaire de cette race admirable, et à la retenir sur la pente de la mollesse asiatique.

Dans tous ces exemples empruntés à des sociétés qui ont eu leur art à elles, l’art nous apparaît donc comme concourant avec le devoir et s’orientant vers le même pôle, ou plutôt l’éthique ne s’y montre que comme une esthétique supérieure, l’art de la conduite belle et louable. Le propre de l’art, et aussi bien de la morale, est de chercher et de croire découvrir un but divin à la vie, un grand