Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
g. tarde. — l’art et la logique

que nouveau genre, quelque nouvelle école en puissance, digne ou non de succès, d’ailleurs. Il n’est pas jusqu’à l’acteur qui, en répétant sans y changer un mot un rôle depuis longtemps dit et redit par d’autres, ne le pénètre d’un charme et d’une âme caractéristique qui donne l’idée d’un rôle différent, modifié et refondu suivant les intentions imprévues qu’il lui prête ; et si je ne craignais de fatiguer le lecteur par mes hypothèses risquées, je comparerais volontiers à cet acteur qui joue fidèlement sa pièce l’individu vivant normal et banal, la monade qui représente son espèce avec la plus grande correction, mais sans abdiquer pourtant son essence propre et inaliénable. C’est la magie de l’art, et aussi bien de la vie, — car Guyau l’a profondément montré, la vie et l’art sont identiques, — de nous révéler lumineusement le fond des choses, et, par la répétition universelle des phénomènes, de faire éclater à nos yeux la différence universelle des éléments.

Ajoutons que le beau moral, comme le beau artistique, est conformiste. Une belle action est celle qui, tout en se conformant aux mœurs de l’époque, à un type d’honneur en possession de l’estime publique, donne en même temps l’idée d’un type différent et meilleur ; meilleur comme présentant un exemple qui, s’il était suivi, donnerait au corps social plus de garanties et de force collective, ou bien rendrait plus complet l’accord entre la conduite et la pensée nationales. — Le premier barbare qui, à un sacrifice humain, a substitué, pour honorer les Dieux, un sacrifice animal, n’a apporté qu’une modification à la coutume régnante ; mais il a eu l’anticipation et le souhait confus d’une morale beaucoup plus pure encore, proscrivant tout sacrifice sanglant. Le sacrifice non sanglant, c’est la messe, qui a été à l’origine un progrès immense. De ce simulacre nominal d’un sacrifice à l’abolition complète de l’idée même de sacrifice en religion, il n’y a pas loin. On sent, à lire les prophètes hébreux, que leurs aspirations morales, déjà chrétiennes, vont bien au delà de leurs préceptes moraux, encore mosaïques.

V

Mais revenons. Cette nécessité, toute logique, nous le savons, où est l’artiste, de se conformer aux habitudes du public, même pour les réformer, va nous permettre de jeter un pont par-dessus un profond hiatus, jugé assez souvent infranchissable, qui semble séparer en deux le grand domaine de l’art. Il y a, d’un côté, les arts d’imitation (on entend par là d’imitation de la nature), à savoir la sculpture, la peinture, la poésie ; et, d’un autre côté, la musique