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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/149

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g. tarde. — l’art et la logique

fixées, répétées, susceptibles de donner lieu à des remarques intéressantes et à des habitudes visuelles d’un homme ou d’un peuple, elle est extrêmement pauvre au contraire en combinaisons tant soit peu remarquables et persistantes de lignes géométriques et de sons. Il a donc fallu, afin de satisfaire pleinement les besoins esthétiques de l’ouïe et de la vue, inventer ces dernières, tandis que, pour les premières il a presque toujours suffi de les découvrir, de les observer. — Non seulement, en effet, la nature nous offre toutes les teintes et toutes les formes flexueuses, non formulables géométriquement, que nous pouvons rêver, mais encore presque toutes les alliances et les complications imaginables de ces éléments, dans l’infinie variété des êtres vivants, animaux ou plantes, des accidents de terrain ou des jeux d’ombre et de lumière. À l’œil qui s’ouvre au jour, ces types naturels — aperçus suivant l’angle et dans la direction que donnent au regard et à l’esprit l’éducation, l’influence ambiante du milieu humain — s’imposent par leur intérêt ou leur fixité ; ils finissent par remplir la mémoire visuelle et ne laisser à l’imagination, si elle cherche à s’en distraire, d’autre issue que le surchargement ou. l’accouplement monstrueux de ces êtres naturels. — Ce n’est pas à dire d’ailleurs, et j’ouvre ici une parenthèse, que ces combinaisons fournies par la nature soient, indépendamment de leur expression, résultat de l’expérience et de l’habitude individuelle ou sociale, les plus belles en elles-mêmes pour nous, celles que nous aurions pris la peine d’inventer à défaut de la nature. Les formes vivantes, si nous ne savions l’harmonie organique dont elles sont l’expression alphabétique en quelque sorte, et si nous n’étions accoutumés à les voir ou à les entendre admirer, seraient pour nous aussi étranges, aussi peu gracieuses en soi d’ordinaire, que le sont les caractères d’une écriture qui nous est inconnue. Mais les caractères latins dont nous faisons usage, expressifs et clairs à nos yeux, ne nous choquent point, et leur bizarrerie nous échappe ; même quand ils sont écrits par une belle main, à la fois élégante et caractérisée, qui donne à ces types imposés toute la grâce et toute l’originalité dont ils sont susceptibles, l’écriture alors exerce sur nos yeux un charme profond, parfaitement comparable à l’agrément puissant que nous procure la vue des formes corporelles de notre race ou de notre connaissance représentées par un bon peintre, véritable calligraphe de la nature.

Ma parenthèse fermée, est-il besoin d’ajouter à quel point, en fait de sons proprement dits (non de bruits), c’est-à-dire en fait de séries régulières de vibrations égales, et en fait de lignes droites ou courbes géométriquement définies, la nature nous présente peu d’éléments déjà combinés par elle ? Çà et là quelques notes pures, mais jamais