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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/151

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g. tarde. — l’art et la logique

mode généralisée de diriger l’attention sur la nature, d’observer mieux les choses et les êtres naturels et d’en observer un très grand nombre qui n’étaient pas remarqués jadis, ont dû beaucoup favoriser la tendance réaliste, naturaliste, des arts et des lettres, et servir à y pallier l’épuisement relatif de l’inspiration. En ce qui concerne les arts traditionnalistes par essence, l’architecture notamment, un fait que je puis regarder comme analogue se produit aux âges d’éclectisme et d’érudition où l’architecte a sous la main tant et tant de types artificiels, legs accumulés de ses devanciers, qu’il ne prend plus la peine de les combiner même et se contente d’y faire son choix à son gré. L’équivalent du naturalisme, ici, c’est l’exactitude servile de ces postiches des monuments de la Renaissance, de l’architecture gothique, pompéienne et autre, où s’étale une érudition qui copie pour copier, et se donne aussi des airs pseudo-scientifiques. Mais cette phase n’est que passagère et le passé peut nous instruire à cet égard. Par exemple, on peut voir, dans le dictionnaire de Viollet-le-Duc, une carte représentant le rayonnement géographique de huit types différents de clochers qui se sont répandus en France du xie au xvie siècle[1] : on dirait autant d’espèces organiques, parentes et distinctes, propagées à partir de leur centre de création. Or, longtemps chacun de ces types a été une matière pétrie, travaillée librement par les architectes qui l’employaient, pendant que les sculpteurs des xiie et xiiie siècle, de leur côté, façonnaient pour leur amour, animaient de leur âme, les formes du corps humain et des animaux ou des plantes de la contrée environnante, leur matière première à eux. Plus tard, la mode a été de calquer le tout, aussi bien ces types que ces formes ; jusqu’à ce qu’on ait voulu être plus naturel que la nature, plus moyen âge que le moyen âge ; et l’on a abouti, d’une part, aux sculptures grimaçantes d’un réalisme ignoble, sorte d’idéalisme retourné, d’autre part aux cathédrales surchargées de tous les caractères propres au style gothique, mais excessifs et entassés sur un trop petit espace[2].

  1. Observons, en passant, que, principalement destiné d’abord à défendre l’entrée de l’église contre les Normands ou autres assaillants, le clocher ne servait qu’accessoirement à contenir et suspendre les cloches. Puis, par degrés, cette destination accessoire est devenue principale.
  2. L’évolution de l’écriture à partir du dessin est précisément l’inverse de l’évolution artistique, qui a conduit de nos jours au réalisme. On pourrait dire de l’écriture comme de l’architecture qu’elle n’est pas un art d’imitation. Mais il est plus exact de dire qu’elle ne l’est plus. Elle a commencé par être une figuration exacte, puis abrégée, et de plus en plus dénaturée, des objets et des actes exprimés par elle. Or, à mesure qu’en devenant hiéroglyphique, elle s’affranchissait de l’imitation des objets et des actes, elle se pliait plus servilement à l’imitation des traits abréviatifs et conventionnels. Enfin il est venu un