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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/162

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rons aborder le sujet par son côté positif. Une dernière remarque critique nous y conduira. Nous nous demandons encore si l’on est autorisé, quand on prend au sérieux l’idée de coordination, à chercher l’unité fondamentale dans une notion étrangère aux objets coordonnés. Évidemment il en est pour la coordination pratique comme pour la coordination théorique : c’est dans leurs objets que doit se trouver l’élément fondamental autour duquel ils seront disposés selon leur nature propre. Ne faisons donc pas appel pour le moment à l’idée du bien : elle sera le résultat de la coordination pratique, mais elle n’en est pas la condition, l’origine, et elle compliquerait inutilement nos recherches. Qu’est-ce qu’il y a de fondamental dans la fonction pratique ? Voilà ce qu’il faut se demander tout d’abord. Théoriquement, on coordonne les objets en dégageant ce qu’il y a en eux de constamment réalisé ; pratiquement, on doit les coordonner en dégageant ce qu’il y a en eux de constamment réalisant. Et s’il y a plusieurs éléments de ce genre, nous dira-t-on ? Alors il faudra choisir parmi eux celui qui est aussi l’élément catégorique de la réalisation ; celui qui non seulement se trouve dans toute volition, mais encore qui en est la raison dernière, le dernier pourquoi ; celui qu’on serait en droit d’appeler, en considération de son double caractère, l’a priori pratique (a priori d’existence, il va sans dire, et non de connaissance). Cet élément à la fois constant et catégorique n’est assurément pas le bien, puisque le bien sera le résultat de la coordination pratique, mais on peut dire déjà qu’il est le fondement du bien, en tant qu’il offre l’unité fondamentale de cette coordination.

En somme, il n’est pas difficile de le découvrir, et on l’a indiqué bien souvent : c’est le plaisir. Le sens de ce mot s’est fréquemment restreint, et par cela même on pourrait hésiter à l’employer ici ; il faut bien cependant s’y résoudre, puisqu’il n’y en a pas de meilleur. Il suffit de faire observer qu’il ne s’agit pas plus du plaisir égoïste que du plaisir altruiste, pas plus du plaisir organique que du plaisir esthétique, scientifique, religieux, ou même spécifiquement moral, bref qu’il ne s’agit pas d’une espèce de plaisir, mais de tout plaisir, de tout ce qui agrée, de tout ce qui plaît, de tout ce qui satisfait. Tout cela diffère sans doute, tout cela a des marques particulières, nous avons des raisons importantes pour le reconnaître et pour y insister ; mais tout cela se ressemble en un point que tout le monde sent et apprécie fort bien, et c’est pour exprimer ce point de ressemblance que nous employons le mot de plaisir.

Essayez de définir la fonction pratique sans parler de cet élément, et vous n’y réussirez pas. L’avenir n’est décidé qu’en tant qu’il est