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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/163

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j.-j. gourd. — morale et métaphysique

agréé dans la conception qui l’offre par avance à la pensée. Jamais la volition ne déborde le plaisir. On l’a contesté, il est vrai, mais en invoquant des exemples insuffisants. — Ainsi, ce n’est pas assez de rappeler qu’on voit des malheureux essayer par tous les moyens de prolonger une existence condamnée à la douleur. Il serait facile de répondre que ces malheureux espèrent toujours un avenir plus favorable, ou bien comptent compenser leurs douleurs par des plaisirs d’un autre ordre ; qu’en outre ils sont sous l’influence de cette idée que l’existence en elle-même est un bien, et que cette idée donne lieu à une conception agréable à laquelle ils s’attachent. — On ne trouverait pas une objection plus décisive dans le fait que la volonté retarde parfois le plaisir, ou même le sacrifie. Est-on certain, en effet, que ce ne soit pas en vertu du plaisir que ce retard ou ce sacrifice a lieu ? « : Au désir actuel qui pousse à une satisfaction immédiate, la volonté dit : pas encore ! » Ne serait-ce pas tout simplement parce que ce désir est combattu par d’autres désirs, en particulier par celui de n’avoir rien de grave à regretter plus tard, d’être fidèle à une règle préalablement acceptée, etc. ? Et quand nous paraissons plus résolus, plus désintéressés encore, quand nous semblons sacrifier tout plaisir, nous ne faisons encore que sacrifier le plaisir d’un certain ordre à un autre plaisir, ne serait-ce que celui du sacrifice dont nous pourrions montrer la puissante réalité. Si, en pareil cas, il y a la douleur du regret, c’est que nous voudrions ne laisser perdre aucun des plaisirs qui sont en lutte ; ce n’est point qu’il y ait de notre part abandon de tout plaisir. — Et ce n’est pas seulement dans les volitions proprement dites, c’est-à-dire dans celles qui comportent une délibération, que l’on trouve toujours cet élément de plaisir, c’est aussi dans les volitions où le concept n’est pas réfléchi, où il est peu clair, où quelquefois même il est à peine appréciable, dans les volitions instinctives à tous les degrés. « Le désir, a-t-on dit, peut précéder l’expérience du plaisir et de la peine, et c’est ce que nous voyons dans les instincts. » L’analyse est encore ici trop courte. Si l’on désire avant d’avoir éprouvé réellement le plaisir (nous entendons avant que l’objet conçu ait été réalisé), c’est qu’on a éprouvé idéalement le plaisir (nous entendons que la conception elle-même a été agréée, a éveillé du plaisir).

Le plaisir est donc inhérent à toute fonction pratique, il est pratiquement constant. Il est encore pratiquement catégorique. On a remarqué l’embarras de Kant quand il veut bannir de l’acte moral tout élément de plaisir, même de « plaisir fondé sur le sens interne » ; malgré tout, il est obligé d’en tenir compte. « Vouloir une chose, dit-il, et trouver une satisfaction dans cette chose, c’est-à-dire y