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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/164

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prendre intérêt, c’est tout un. » En somme, il ne fait que jouer sur les mots. Qu’est-ce que cette satisfaction, qu’est-ce que cet intérêt, sinon encore un plaisir ? Ce plaisir peut être bien différent des autres, il n’en est pas moins un plaisir, et Kant est ainsi amené malgré lui à voir dans le plaisir la raison d’être de la volonté. C’est bien là, en effet, une conclusion inévitable. Le plaisir donne le dernier pourquoi de la volition. Ainsi, on ne peut s’arrêter à un impératif, à un commandement, dans la recherche des raisons pratiques. Le commandement, c’est l’expression finale de la volition, c’est la volition s’accomplissant, ce n’est pas la volition dans son origine, dans sa raison d’être pratique. Pourquoi est-il ? Pour le concept sur lequel il porte et qu’il doit réaliser. Autant vaut le concept, autant vaut le commandement. Mais on ne peut s’arrêter non plus au concept. Le concept est en quelque sorte l’expression essentielle de la volition, il marque sa nature, sa direction, son objet, mais pourquoi tel concept est-il objet de volition ? Pourquoi a-t-il été choisi parmi tous ceux qui se sont présentés ? Pourquoi, au moins, n’a-t-il pas été repoussé ? Parce qu’il agrée, parce qu’il suscite idéalement un sentiment de plaisir. Il faut aller jusque-là ; mais c’est assez. Essayez maintenant de remonter au delà du plaisir : vous n’y réussirez pas. Tout ce qu’on peut faire, c’est reculer d’un plaisir à un autre plaisir : on n’arrive jamais à un terme d’un autre ordre. Nous sommes donc dans le domaine du catégorique.

Ici encore, sans doute, on a présenté des objections. — Par exemple, on a dit que l’habitude remplace le plaisir dans la fonction pratique. Mais pourquoi l’habitude s’est-elle formée ? Ne faut-il pas remonter jusqu’au plaisir pour l’expliquer elle-même ? Et puis, il n’est pas vrai que rhabitude soit un principe de volition ; ce n’est qu’un mode de volition. On ne veut pas en vertu de l’habitude, mais conformément à l’habitude. Et pourquoi veut-on quelquefois conformément à l’habitude ? Parce qu’on veut ce qui coûte le moins de résistance pénible, et cela revient en définitive à admettre qu’on veut sous l’aiguillon du plaisir. — Ou bien on a dit : « Le plaisir n’est pas premier ; ce qui est premier et dernier, c’est la fonction, c’est la vie. » La vie, la fonction : résultats que tout cela, rapports qui supposent des termes, groupes qui doivent avoir des composants, dérivés qui n’ont pas leur raison en eux-mêmes, et par conséquent ne peuvent être le principe dernier de l’action. D’ailleurs, si la vie devait être substituée au plaisir dans l’acte pratique, ce ne serait que dans un monde inconscient sur lequel la philosophie ne saurait avoir de prise, et le rôle pratique de la philosophie, que nous cherchons justement à établir, serait ainsi supprimé. — Enfin, pas plus que la vie