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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/224

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Alcan, 1887 je lui ai consacré un chapitre dont les lecteurs de cette Revue n’ont peut-être pas perdu le souvenir, mais que j’aurais à modifier aujourd’hui, pour d’autres raisons encore que la découverte de Pabst. Je doute, à la vérité, si je ne le rendrais pas ainsi d’apparence encore plus paradoxale en France, où la croyance à l’idéalisme transcendantal de l’école d’Élée ne semble pas facile à déraciner ; mais je constate qu’à l’étranger, la thèse contraire fait de sérieux et rapides progrès.

En soutenant ici cette thèse, j’avais fait une exception pour Mélissos ; le fragment 16, qui dénie expressément toute dimension à l’Être, me paraissait irréfragable ; je réservais donc à Mélissos seul l’honneur que d’ordinaire on attribue à toute l’école d’Elée ; en tout cas, personne n’avait encore mis en doute les conclusions que l’on tirait de ce fragment.

Apelt est, je crois, le premier (N. Jahrbücher f. class. Philol., 1886) qui en ait suspecté l’authenticité. On sait qu’il est composé de deux passages du commentaire de Simplicius sur la Physique d’Aristote : p. 110, 1 Diels., εἰ μὲν ὂν (οὖν suivant une autre leçon) εἴη, δεῖ αὐτὸ ἒν εἶναι· ἒν δὲ ὂν δεῖ αὐτὸ σῶμα μὴ ἔχειν. La question est de savoir si Simplicius a reproduit fidèlement le texte de Mélissos, sans rien y ajouter de son cru.

Bäumker (das Problem der Materie in der Griechischen Philosophie, Munster, 1890, p. 59) nie l’incorporéité de l’Être de Mélissos ; il remarque que, même en admettant la leçon ὂν et non οὖν, le mot ὂν ne peut être le sujet (Simplicius aurait dit τὸ ὄν) et il suppose que le Samien parlait d’un concept différent, que nous ne pourrions plus déterminer. Mais cette hypothèse est insoutenable en présence du contexte des deux passages de Simplicius, et d’ailleurs, même si on l’admettait, elle ne pourrait conduire plus loin, car personne ne peut mettre en doute que l’unité ne soit un attribut de l’Être de Mélissos ; dès lors, le raisonnement du fragment 16 oblige à lui dénier toute extension.

Dans un récent mémoire présenté à l’Académie des Lincei, et où Alessandro Chiappelli a appliqué sa sagacité ordinaire à l’étude complète des fragments et de la doctrine de Mélissos[1], il conclut que le passage logique de l’unité à l’immatérialité dans le fragment 16 est dû à une interprétation de Simplicius. Mais il semble porté, néanmoins, à concéder l’authenticité de la première partie au moins du fragment et à admettre que Mélissos, tout en attribuant à l’Être une grandeur dans l’espace, grandeur continue, uniforme, indéterminée, lui déniait la corporéité dans le sens d’une hétérogénéité matérielle.

  1. Je ne saurais trop recommander cet opuscule que je ne puis me permettre d’analyser ici plus longuement, voulant discuter à fond le point que je considère comme le plus essentiel.