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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/225

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ANALYSES. — pabst. De Melissi Samii fragmentis.

Pour conforme que puisse être cette distinction à l’ordre d’idées de Mélissos, elle n’en est pas moins passablement subtile et elle suppose donné au mot σῶμα un sens qu’il serait difficile d’établir historiquement. En tout cas, c’est dans Simplicius que nous trouvons ce mot et bien certainement il ne le prenait que dans sa signification classique, chez Aristote et chez les géomètres.

Le mieux est donc de s’en tenir à la remarque d’Apelt. Mais pour la bien comprendre, il faut rappeler que le fragment 16 est la preuve absolument unique qu’on puisse invoquer pour attribuer l’immatérialité à l’Être de Mélissos ; que ce fragment est en contradiction avec le fragment 8, qui attribue expressément à l’Être la grandeur (μέγαθος, ionisme attestant l’authenticité relative de la citation) ; que si Mélissos avait aussi nettement formulé son concept transcendîintal (surtout si ce concept a été étranger aux autres Éléates), on ne peut guère comprendre le langage tenu par Aristote à son sujet ; qu’enfin depuis Platon jusqu’à Alexandre d’Aphrodisias inclusivement, toute la tradition semble, avec plus ou moins de précision, nous représenter l’Être de Mélissos comme matériel et étendu.

Simplicius au contraire, imbu des doctrines néoplatoniciennes, a certainement préjugé la question ; il ne peut concevoir l’Être de Mélissos autrement que comme incorporel et il a évidemment complété dans le sens de ses opinions, le texte qu’il avait sous les yeux lorsqu’il a fait la rédaction correspondant aux fragments 1 à 5. Mais a-t-il été jusqu’à commettre consciemment une supposition telle que serait celle du fragment 16 ? Évidemment, on ne peut le soutenir. S’est-il trompé ? Ceci est une tout autre question.

Comme il cite textuellement les fragments 11-14, on est porté à croire qu’il a, tout entier sous la main, l’ouvrage de Mélissos ; une erreur de sa part (l’admission d’un fragment inauthentique) semble donc impossible. Mais je crois bien qu’en supposant la conservation intégrale, jusqu’à l’époque de Simplicius, de la plupart des écrits philosophiques dont il nous a conservé de si précieux fragments, nous sommes le jouet d’une pure illusion. Il est bien plutôt croyable, si l’on pèse le pour et le contre, qu’il a simplement puisé dans quelque spicilège inconnu, amassé par quelque Slobée amateur de philosophie. Il y a trouvé, entre autres choses, le début du livre de Mélissos, qu’il a tantôt cité textuellement, tantôt présenté sous une autre rédaction. Il n’avait pas l’ouvrage entier ; il ne pouvait pas juger si telle assertion, attribuée à Mélissos, était ou non de lui.

D’autre part, Simplicius avait certainement entre les mains (ceci est surabondamment prouvé) le traité pseudo-aristotélique de Melisso, et il croyait y trouver un exposé complet et fidèle de la doctrine du Samien.

Or, comme l’a remarqué Apelt, le passage de ce traité (976 a 11 suiv.) qui correspond au fragment 16 est assez obscur, quoiqu’on doive en conclure que, d’après l’auteur, Mélissos attribuait à l’Être l’extension et par