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j. delbœuf. — pourquoi mourons-nous ?

II

La cessation de l’individualité, chose différente de la mort physiologique.

On sait que M. Weismann a soutenu que les protozoaires, qui disparaissent sans laisser de cadavre, échappaient à la mort physiologique. M. Götte a combattu cette manière de voir, et, pour lui, l’individu meurt quand il se divise.

Quant à moi, j’ai pris une position intermédiaire et voici comment je me suis exprimé[1] :

« La notion de mort intégrale ne s’applique pas à ces sortes d’êtres qui se propagent par division, du moment qu’il n’y a pas de cadavre. Mais aussi on ne peut leur appliquer la notion complète d’individualité tant physique que psychique, puisque celle-ci comprend indivisibilité et mécanisme. Les deux moitiés d’un homme ne sont pas des hommes ; les deux moitiés d’une monère sont des monères, sinon toujours en acte, du moins toujours en puissance.

. . . . . . . . . . . . . . .

« Je ne doute pas, pour ma part, que ces êtres où l’individualité n’est pour ainsi dire qu’ébauchée, n’aient une organisation plus compliquée que nos meilleurs microscopes ne le révèlent. Mais du moment que tout ce qui est en eux reste par essence éternellement vivant, ils ne meurent jamais, même quand ils se divisent.

« Ainsi deux cellules, simples ou compliquées, formeront toujours deux individualités distinctes, à moins qu’elles ne remplissent des fonctions différentes utiles à la communauté, et que l’une d’elles, ou une partie d’elles, ne soit incapable, après séparation, de se recompléter par bourgeonnement et de reproduire un individu semblable à la souche. Dès lors cette cellule, ou cette partie de cellule, n’a d’existence que dans le tout et par le tout : elle n’est pas séparable, elle est un organe. »

Ce passage a besoin d’être commenté. Certes, une stylonichie apparaît visiblement comme étant un individu ; elle a une forme bien déterminée, une bouche armée de cils vibratiles, deux espèces de noyaux, et on doit lui supposer des parties, organes de mouvement, jouant le rôle de muscles, d’autres, organes de sensibilité, fonctionnant à la façon des nerfs. On ne voit rien de semblable, il est vrai,

  1. La matière brute et la matière vivante, p. 147 et suiv. Les découvertes ultérieures m’ont donné raison.