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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/242

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dans une monère, si toutefois il y a des monères, mais il va de soi que les limites de notre vision ne sont pas celles de la réalité. À chaque moment de son existence, la monère est un composé hétérogène puisque, à ce moment-là, telle partie sert d’organe de préhension, telle autre de digestion, telle autre de locomotion. Il nous paraît bien que chacune d’elles peut prendre et prend tous les rôles, et que, par conséquent, considérée dans la totalité de sa vie, la monère serait homogène. J’ajoute que je me résous sans peine à admettre qu’il en soit ainsi.

Mais il est déjà plus difficile, sinon impossible, d’attribuer une semblable homogénéité aux amibes. Chez elles, évidemment, l’enveloppe ne peut usurper la place et les fonctions du noyau, quelles que soient ces fonctions. Et, à mesure qu’on s’élève sur l’échelle des êtres monocellulaires, on voit l’hétérogénéité, et par suite, l’individualité, se marquer de plus en plus. Comme je viens de le dire, on ne peut nier qu’une stylonichie ne soit un individu à parties nettement différenciées. Aussi tout morceau d’elle indifféremment détaché ne serait pas susceptible de vivre et de réparer sa mutilation.

Il ressort, en effet, des recherches de MM. Nussbaum, Grüber et Balbiani[1] qu’un fragment d’infusoire cilié régénère un nouvel individu complet, pourvu que, au milieu d’autres circonstances favorables, il renferme un fragment de noyau. M. Grüber a trouvé que cette condition n’était pas absolument indispensable du moment que la section avait lieu quand l’individu, en voie de se fissiparer, avait déjà commencé à former un second organe (une seconde bouche, par exemple), et que le fragment contenait cet organe en voie de formation. Enfin M. Balbiani a constaté que l’absence de hoyau ne se faisait pas immédiatement sentir et que les fonctions végétatives continuaient à s’accomplir, mais pendant quelque temps seulement, la mort étant le terme inévitable de la mutilation. Ces recherches sont antérieures à celles de M. Maupas sur le rôle important joué par le micronucleus dont, auparavant, on ne tenait nul compte[2].

  1. Voir le travail de ce dernier intitulé : Recherches expérimentales sur la mérotomie des infusoires ciliés. Genève, Bàle, 1888.
  2. Voir Balbiani, note p. 6. — Ces recherches rendent fort problématique l’existence des monères, et menacent d’effondrement les constructions savantes de M. Hæckel. Il y a plus de vingt ans, tout imbu de la théorie cellulaire de Schwann, j’avais ébauché un travail physico-philosophique sur la constitution de la cellule dont la sensibilité et la vie me semblaient être attachées précisément à son hétérogénéité se révélant dans l’opposition du noyau et du protoplasme qui le baigne. J’en fus détourné par les théories qui se firent jour alors, d’après lesquelles le noyau était une formation secondaire, et le protoplasme homogène la substance vivante complète. Ce ne fut pas sans peine que je renonçai à mes spéculations. Je le regrette aujourd’hui. Voici quel était mon point de départ. Sui-