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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/247

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j. delbœuf. — pourquoi mourons-nous ?

Sans doute, nous connaissons dans le monde végétal des espèces telles que la vigne, le houblon, le peuplier d’Italie, la canne à sucre, etc.[1], qui, depuis un temps immémorial, se propagent par la voie agame, et il serait téméraire d’affirmer qu’il n’en est ainsi d’aucune espèce animale ; mais l’ignorance même où nous sommes doit nous mettre en garde contre les raisonnements basés sur des idées a priori.

Une autre vue de M. Weismann c’est que la mort n’est pas inhérente à la vie, mais que son origine est secondaire. Elle a apparu chez les métazoaires à cellules différenciées, et elle ne serait pas due à des causes primordiales et internes, dérivant de l’essence même de ces organismes ; elle résulterait simplement de causes occasionnelles, fondées sur la convenance et l’utilité. Les vieux pourraient vivre éternellement, mais ils cèdent la place aux jeunes[2]. Ainsi l’exigerait l’intérêt de l’espèce.

Il est d’évidence immédiate, reprend à ce propos M. Maupas, que l’immense majorité des êtres vivants ne meurent pas de mort naturelle, après avoir épuisé jusqu’au bout la puissance vitale qu’ils renfermaient, mais il est tout aussi évident qu’à côté de ces morts accidentelles, il existe une mort essentielle « dont les causes sont internes à l’organisme lui-même. L’organisme, dans sa nature essentielle n’est qu’un mécanisme. Or, tous les mécanismes se détériorent et s’usent par le jeu même de leurs fonctions. Les mécanismes organiques n’échappent pas à cette loi d’usure et de dégradation, du moins l’expérience actuelle ne nous en a pas encore fait connaître un seul. Les êtres vivants s’usent donc et vieillissent, et ils périssent parce qu’ils vieillissent. La convenance et la sélection n’ont rien à voir dans cette loi organique fondamentale. Elle a son origine dans d’autres lois d’une généralité bien supérieure et très probablement dans l’instabilité universelle de la matière[3] » Et plus loin : « Je crois donc que l’action délétère de la sénescence sur les cellules consiste bien plutôt dans l’affaiblissement général de leurs propriétés et fonctions spéciales. Leurs structures doivent s’altérer avec l’âge,

  1. Auxquelles on pourrait ajouter l’Elodia canadensis qui a envahi tous les canaux de la Belgique et dont l’on ne connaît que la plante femelle. La question est cependant encore de savoir s’il n’y a pas dégénérescence, et les maladies de la vigne et de la pomme de terre, qui ont fait leur apparition de nos jours, justifient tout au moins le doute. N’est-ce pas parce que les plants sont affaiblis et dégénérés qu’ils résistent si mal à des ennemis qui, après tout, ne doivent pas être nés d’hier ?
  2. Comment M. Weismann peut-il parler de vieux et de jeunes, puisque, dans son système, il n’y a que des ancêtres et des descendants également aptes à soutenir le combat pour la vie ?
  3. P. 271.