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p. janet. — cas d’aboulie et d’idées fixes

manifestations. Nous ne parlons ici que des actes et des mouvements. La volonté a disparu comme faculté de décider un acte d’avance, de se résoudre à un mouvement. Marcelle depuis fort longtemps ne se décide jamais à rien, même pour les plus petites choses. Elle ne sait si elle doit sortir dans la cour ou rester sur sa chaise, et, en présence de cette question grave, elle reste immobile toute la journée en murmurant : « Que faire ? mon Dieu, que faire ? » On rencontre souvent des personnes qui répètent une phrase de ce genre : « Que faire ? » ou « Comment donc faire ? » Ces expressions ne sont pas insignifiantes ; elles dénotent un état psychologique particulier, dont nous voyons chez Marcelle la dernière exagération. La volonté est également perdue comme faculté de produire un mouvement déterminé. Le pouvoir moteur des images kinesthétiques ou même des images visuelles n’est pas disparu chez cette malade. Quand je me mets en face d’elle en balançant mon bras, il suffit qu’elle voie le mouvement pour le répéter. Mais elle ne sait plus disposer, synthétiser ces images de manière à produire un mouvement déterminé et utile. La volonté enfin est perdue comme pouvoir d’arrêt des mouvements, car les actes automatiques, soit naturels, soit suggérés, sont non seulement conservés, mais énormément exagérés. Toute image d’un acte de ce genre devient impulsive et n’est pas arrêtée par la volonté impuissante. Le symptôme essentiel de cette maladie mérite bien le nom de perte de la volonté, ou d’aboulie.

On croit d’ordinaire entendre facilement le sens des mots : automatique et volontaire et la nature de leur opposition ; mais il faut cependant profiter de toutes les occasions pour préciser des idées de ce genre. Analysons encore les actes de cette personne, car sa maladie réalise une expérience remarquable de psychologie. Au lieu de considérer chez elle, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, les actes complètement conservés et ceux qui sont entièrement perdus, examinons les degrés intermédiaires.

L’hésitation et l’impuissance de cette malade sont en effet très variables et changent suivant les degrés de la maladie à différentes époques. Mais, si on l’étudié un même jour, l’hésitation se modifie aussi suivant la nature des actes à accomplir, qui ne semblent pas tous aussi difficiles l’un que l’autre. J’essayait un jour d’exercer Marcelle aux mouvements volontaires : pour y arriver, j’avais étalé sur une table différents petits objets et je la priais de les prendre un à un et de me les remettre. Elle consentait volontiers à cette sorte de jeu et s’appliquait à bien faire. Or, malgré sa bonne volonté, elle